Les structures en tenségrité présentent l’avantage d’allier la légèreté (peu de matière) et la résistance aux contraintes mécaniques. En ce sens, elles sont la manière la plus « économique » qu’a trouvé le vivant pour se constituer une structure à la fois déformable et solide.

C’est dans mes mains que j’ai découvert la tenségrité, au cours de mon apprentissage en ostéopathie, en m’apercevant que pour entrer en communication avec les tissus vivants à leur niveau matériel, il fallait que j’aille à leur rencontre en m’accordant à leur densité et à leur tension. J'ai appelé cela l'accord palpatoire. Je sais que je suis correctement accordé aux tissus lorsque j'ai dans les mains une sensation de plasticité ou "déformabilité," même pour des structures naturellement denses comme l'os. La modélisation de cette manière de faire à donné ce que nous appelons les paramètres objectifs de la palpation. Je la vivais sans la connaître, comme M. Jourdain faisait de la prose sans savoir que c’était de la prose.

C’est beaucoup plus tard que j’ai découvert le mot tenségrité, grâce au mémoire de fin d’études ostéopathiques de Jean-François Megret La tenségrité, vers une biomécanique ostéopathique (2003). J’en avais auparavant vaguement entendu parler, sans vraiment m’y intéresser. Ce que j’en connaissais me faisait penser à un concept mécanique et architectural intéressant, sans imaginer que la vie pouvait s’en être emparé pour créer ses structures. Le texte de Megret fut pour moi une révélation. Cela étant, je n’en parlais pas beaucoup, parce que le plus important pour moi, ce n’était pas d’en parler, mais de la vivre et si possible, en tant qu’enseignant d’aider d’autres à le vivre également. J’ai d’ailleurs écrit à ce sujet un article de blog : Tenségrité.
Après Megret, plusieurs auteurs ont publié en français des ouvrages évoquant le lien entre le concept de tenségrité et les tissus vivants et leur palpation. Mais ils ne m’apportaient rien de majeur par rapport ce que je connaissais et surtout vivais déjà dans ma palpation.

L’ouvrage de Graham Scarr est particulièrement intéressant parce qu’il développe le concept de tenségrité dans tous les domaines d’un système vivant, du macro au micro, montrant par là qu’il s’applique à toute structure vivante et permet de bien mieux comprendre son comportement mécanique face à la contrainte.

Je crois même que l’on peut appliquer le concept à la conscience modélisée chez nous par la dualité Je/non-Je qui lui aussi répond à un jeu de compression (Je) – tension (non-Je). J’ai donc trouvé cet ouvrage particulièrement intéressant parce qu’il nous propose des liens cohérents entre ce que nous vivons dans nos mains et une représentation théorique, un modèle de ce qu’il se passe dans les tissus.

Préface de l'auteur
Le modèle de principe structurel appelé tenségrité a émergé vers le milieu du vingtième siècle et connaît aujourd’hui un énorme regain d’intérêt. Utilisé au début dans une nouvelle forme de sculpture, il est aujourd’hui incorporé à l’architecture, à l’ingénierie de structures déployables dans l’espace et retient l’attention des biologistes, des cliniciens et de tous ceux qui s’intéressent à l’anatomie et aux mouvements fonctionnels. Les modèles reposant sur la tenségrité émulent aujourd’hui la biologie de manières inconcevables dans le passé, mais pour parvenir à cette large acceptation du concept, il a fallu du temps, parce qu’il défie la compréhension généralement acceptée (qui a conduit à le rejeter comme étant à la fois trop ‘simple’ et ‘trop compliqué’). On peut facilement comprendre cela.

Il a fallu de nombreux siècles à l’anatomie et à la biomécanique pour accumuler un corpus de connaissances que n’atteint aujourd’hui aucun autre domaine, mais ce sont les progrès de la technologie qui ont permis cette progression, alors que les conventions établies ont longtemps laissé persister de nombreuses incohérences. Les exemples les plus frappants de cela sont la relégation du tissu conjonctif et du fascia au simple rôle de support, la tolérance d’un système incomplet de levier chargeant les tissus de contraintes destructrices qu’ils ne sauraient supporter et l’adhésion à un système spatial euclidien imposant à la mécanique classique un rôle dominant dans la biologie. Mais les choses changent. Ces idées ont été avancées à une époque où n’existaient que très peu d’alternatives ; c’est l’association d’une certaine représentation et de ce qui était scientifiquement admis qui leur a permis de persister jusqu’à aujourd’hui, ce qui a conduit la biomécanique dans une impasse dont elle commence tout juste à sortir aujourd’hui.

Dans les années 1970, un chirurgien orthopédique, Stephen Levin, a observé sur la table d’opération des choses étranges par rapport à la théorie biomécanique conventionnelle et il a entrepris d’en découvrir une explication plus satisfaisante. Commençant par l’étude de créatures qui poussaient ces théories à leur limite, il a découvert que, quelle que soit l’échelle de taille considérée, la tenségrité permettait d’apprécier bien plus profondément les mécanismes biologiques (Levin, 1981) et qu’elle était également compatible avec les lois naturelles de la physique. Il a finalement introduit le terme ‘biotenségrité’ pour la distinguer de recherches en ingénierie n’obéissant pas à ces règles de la même manière. À peu près à la même époque, Donald Ingber, un biologiste cellulaire explorant les effets des forces physiques sur les cellules cancéreuses, s’est également rendu compte que la tenségrité procurait une meilleure explication à leurs comportements changeants (Ingber, 1981). Grâce à ses expériences, partant des molécules pour aller jusqu’à l’ensemble du corps, il a détaillé l’essentiel de la mécanique et de la biotenségrité cellulaires en relation avec l’organisation hiérarchique des systèmes vivants. Il a beaucoup écrit sur cette question au cours des trente années passées. D’autres ont également apporté des contributions substantielles, mais c’est seulement très récemment qu’un intérêt plus étendu s’est manifesté. Il aura fallu l’effervescence d’Internet et quelques recherches venant ébranler les vues traditionnelles de l’anatomie, pour que les cliniciens commencent à reconnaître que la biotenségrité procure une meilleure explication aux choses qu’ils observent en pratique. L’intention de ce livre est donc d’expliquer quelques-uns des principes de base de la tenségrité et de réévaluer l’anatomie et la biomécanique à la lumière de ces trouvailles.

Le premier chapitre constitue une introduction au concept de tenségrité, avec un bref historique de son développement et quelques caractéristiques qui le rendent important pour la biologie structurelle.
Les chapitres 2 et 3 décrivent la géométrie sous-jacente et le modèle de tenségrité de base, alors que le chapitre 4 détaille les imperfections de la mécanique classique.
Les chapitres suivants, de 5 à 8, présentent la recherche et donnent quelques exemples montrant la manière dont la tenségrité améliore notre compréhension de la structure biologique.
Les chapitres 9 et 10, enfin, montrent comment la tenségrité transforme les  visions traditionnelles de l’anatomie et considère ses implications dans la biomécanique, la robotique et la thérapeutique. Comme chaque partie d’une structure tensègre exerce une influence sur toutes les autres parties, il convient, pour apprécier pleinement chacune d’elles, de garder à l’esprit qu’elle se relie plus ou moins à toutes les autres.
Ce livre n’est pas un manuel d’instruction, mais une réponse à la question fréquemment posée : « Qu’est-ce que la (bio)tenségrité ? » et nous espérons qu’il inspirera le lecteur, le stimulera dans l’examen de la structure biologique et dans la poursuite de ses propres voies pour l’appliquer. C’est un point de vue personnel qui reconnaît que toutes les formes naturelles sont le résultat d’interactions entre des forces physiques et les lois fondamentales qui les régissent, et qu’une appréciation de ces simples préceptes conduit à une meilleure compréhension du corps humain en tant qu’unité fonctionnelle intégrée et hiérarchisée.
Graham Scarr
Mars 2014

Avant-propos de Stephen M. Levin
Certains de mes amis ou associés ont écouté ma conférence d’introduction sur la biotenségrité jusqu’à cinq fois, certains sept ou huit fois, sans pour autant vraiment « saisir ». À cause sans doute de ma capacité limitée à communiquer, et aussi de la complexité du sujet, il faut généralement un peu de temps pour s’y couler. En 2004, j’ai présenté une conférence sur la biotenségrité au Royaume-Uni. À la suite de cela, Graham Scarr est venu me trouver et m’a montré un modèle plutôt fruste, mais remarquablement bien pensé du modèle de tenségrité sur un bras. Nous avions auparavant correspondu par courrier électronique, mais je n’avais aucune idée de ses capacités et ne discernais pas jusqu’à quel point il avait assimilé le concept de biotenségrité. Notre première conversation fut brève et quelque peu entravée par le fait qu’il parle un anglais des Midlands, que j’ai personnellement grandi à New-York City et que je ne suis pas doué pour les langues. Notre rencontre a plutôt ressemblé à un sketch de « Benny Hill », mais cela fut suffisant pour que je comprenne que c’était l’homme dont j’avais désespérément besoin à mes côtés. Non seulement Graham avait saisi le concept du premier coup, mais il avait pris la balle au bond et savait en jouer. En tant qu’ostéopathe, il avait la formation scientifique, l’habileté manuelle et la compréhension intuitive du corps, un fort intérêt pour la géométrie et l’habileté manuelle d’un joaillier, l’un de ses passe-temps favoris.

Au cours des années qui ont suivi, s’est développée entre nous une amitié et une association qui nous ont permis d’apprendre l’un de l’autre. Les courriers électroniques de Graham sont provocateurs et obligent à réfléchir. Ses modèles (qu’avec le temps il a amélioré) aident à visualiser la biotenségrité, mais également à stimuler l’exploration vers de nouvelles voies. Les modèles de Graham sont aujourd’hui parmi les plus illustratifs de la biotenségrité et chaque fois qu’une nouvelle idée émerge dans le domaine, il parvient à l’illustrer d’un modèle qui la clarifie. Je voyage vers l’Europe à peu près une fois par an et chaque fois, Graham est présent. (J’ai découvert qu’il n’aime pas les voyages et doit surmonter son hodophobie afin de satisfaire son intérêt pour la biotenségrité). Au fur et à mesure que mon oreille s’accoutumait à l’anglais des Midlands, nos conversations ont gagné en profondeur et en signification. Lorsqu’il m’a rendu visite à la maison, dans la banlieue de Washington, DC, nous avons passé une semaine à échanger nos idées en explorant la Needle Tower de Snelson et les dinosaures de l’Institut Smithsonian. Notre relation a continué à mûrir et à s’approfondir. Graham est devenu l’une des autorités dominantes de la biotenségrité (elles se comptent sur les doigts de la main), son site web s’est développé jusqu’à devenir la plus fine exposition de tenségrité sur le web. Et maintenant, voilà son livre.

La biotenségrité est une science nouvelle dont nous n’avons fait qu’effleurer la surface. À ce jour n’a existé aucun ouvrage pouvant guider ceux qui s’intéressent à en comprendre les origines, en expliquer la structure et progresser vers de nouvelles explorations. Le livre de Graham Scarr réussit à faire cela et bien plus encore. Il a simplifié le complexe, sans l’amoindrir. Voilà un livre pour tous les nouveaux-venus, qu’ils soient ou non expérimentés dans la biotenségrité, pour les scientifiques, les cliniciens, les praticiens manuels, ou simplement les curieux. Biotenségrité : la base structurelle de la vie est écrit avec clarté et humour. Il respecte le sujet et le lecteur. Profitez-en !
Stephen M. Levin
Juin 2014

Sommaire

Préface
Avant-propos de Stephen M. Levin
Remerciements

Chapitre 1 • Tenségrité
Introduction
      De quoi s’agit-il ?
Les origines de la tenségrité
      L’exposition
      Karl loganson
      Les architectes
      David Emmerich
      Buckminster Fuller
      Le sculpteur
      Kenneth Snelson
Le commencement d’une idée
      Construire la tradition
      Une nouvelle conception
      Le dôme géodésique
      La sphère fonctionnelle
      La roue de bicyclette      
      Un effort combiné

Chapitre 2 • Géométrie simple pour organismes complexes
Une « nouvelle » approche de la géométrie : celle que la nature « connaît » déjà
      Les lois de la physique
      Trianguler un hexagone
      Compactage des formes
Les solides de Platon
      Un système structurel dynamique
      Le tétraèdre
      L’octaèdre
      Le cube
      La matrice vectorielle isotropique et l’équilibre vectoriel
      L’icosaèdre
      Le dodécaèdre
La géométrie de la structure vivante
      Le jitterbug

Chapitre 3 • L’équilibre des forces invisibles
Le modèle de tenségrité
      Prismes-T
      Hélices-T
      Sphère T6 et icosaèdre de tenségrité
Simple complexité de la tenségrité
      Structure et énergie
Hiérarchies structurelles
      Un modèle pour tous les autres

Chapitre 4 • Problème de mécanique
Les lois de mécanique classique
      Contrainte et déformation
      Augmenter en taille
      Les conséquences
      Lueur d’espoir
      Des éléments importants manquent
      Une géométrie différente
Biomécanique
      Levier cassé
      Changer de paradigme
Bio-tenségrité
      La chaîne cinématique
      Cinématique à chaîne fermée
      Cinématique de tenségrité
      Problème résolu !

Chapitre 5 • La cellule considérée isolément
Le cytosquelette
      Réguler la cellule
      Façonner l’équilibre
      Lier le « dedans » au « dehors »
      Le développement des tissus
      Le mouvement des cellules
      Développement de schémas complexes
L’intégrateur cellulaire

Chapitre 6 • La torsion dans l’histoire
L’hélice
      L’hélice moléculaire
Hiérarchies complexes
      Spectrine
      Le collagène
Le tube hélicoïdal
Des tubes dans des tubes, dans des tubes
      Le tube myofascial
      La paroi du corps
      Une géométrie plus fondamentale
Secouer le pot

Chapitre 7 • La fluidité du mouvement
Remplacer l’ancien par le nouveau
      Les dinosaures et le pont du Forth*
      La tour de Snelson
      La colonne des vertébrés
L’articulation en tenségrité
      La roue
      Sésamoïdes flottants      
      Un peu d’espace
      Le genou
      Surfaces de glissement
      Note de précaution
Un peu plus de détails
      Le coude
      Quelque chose d’assez particulier se produit
      La bonne fonction
Un petit résumé

Chapitre 8 • Le dur et le mou
La voûte crânienne
      Le modèle géométrique
      Du droit au courbe
      Bases anatomiques
      Développement embryologique
      Le crâne intégré
      Pathologies crâniennes
Le poumon aviaire
      Anatomie hiérarchique
      Le modèle de la roue de tenségrité      
Où en sommes-nous de l’histoire

Chapitre 9 • Un examen plus minutieux
Tension et compression
      Attraction et répulsion
      Tirer et pousser
      D’infinies possibilités
Câbles et tiges
      La tige perdue
      Le simple évolue vers le complexe
      À la recherche de la compression manquante
      Question de point de vue
Droit ou courbe
      Réduire la contrainte
      Géométrie sphérique
Les nuances de l’anatomie

Chapitre 10 • Modélisations « complexes » en biologie
Le dodécaèdre rhombique
La suite de Fibonacci et le Nombre d’Or
      Équivalence
Quasi-équivalence et virus sphériques
Pavage de Penrose
      Objets fractals
      Liens de connexion
Quasi-cristaux
Plus grandes dimensions
Géométrie hyperbolique
Que signifie tout cela ?

Chapitre 11 • Biotenségrité : une approche rationnelle de la biomécanique
Le squelette
      Os
      Muscles
      Tissus conjonctifs
      Le fascia
      Le système micro-vacuolaire
Une nouvelle réalité
      Mésocinésie
      Se défaire des vieilles idées
      Sagesse mal placée
      Une synergie globale
      La simple complexité du mouvement
La dynamique du mouvement
      Le contrôle du mouvement
      Cinématique fonctionnelle
Thérapeutique
      Changement de perception
      Le modèle de biotenségrité
      Une note d’avertissement
      Science de base

Chapitre 12 • Biotenségrité, base structurale de la vie
Premiers principes
      Les solides de Platon et où ils conduisent
      L’hélice
      L’icosaèdre
      Évolution et développement
      L’apparition de la structure
      La survie du plus adapté
Le modèle de biotenségrité
      La roue
      Géométries multiples
      Le modèle « complexe » et au-delà
L’humain fonctionnel
      L’invisible centre
La biotenségrité, base fonctionnelle de la vie

Annexes
Fabriquer des modèles de tenségrité

Origine des schémas et autorisations
Glossaire
Références