Mécanisme

La nécessité pour un être ou une entité consciente d’échanger avec son environnement (ce qu’il vit ou expérimente comme non-je), détermine trois niveaux fondamentaux de fonctionnement : être, faire et avoir. Un être fait pour avoir. Autrement dit, un être est un point d’immobilité (stillness) qui fait (efflux) pour avoir (influx) et c’est par l’intention et l’attention (la présence) que l’être gère cela. Le fait de projeter son attention (faire-efflux) détermine un espace d’où l’être reçoit de la perception (avoir-influx).

Notons au passage que la perception est une activité de l’être, pas du corps. Le corps est une interface (complexe) de perception, mais il n’est que capteur d’informations, transmises à l’être par différents canaux. Fondamentalement, c’est l’être qui perçoit et interprète les perceptions.

À l’instar de Still, nous considérons un être humain comme « constitué » de trois parties : le corps (body), le mental (mind) et l’être (spirit). Disons-le autrement : nous considérons un être humain comme un être (spirit), contrôlant un corps (body) par l’intermédiaire d’un mental (mind).

«  notre raison nous oblige à conclure à l’existence d’un être supérieur qui conduit l’homme matériel, le soutient, le supporte et le protège du danger ; et après toutes ces explications, nous devons décider que l’homme, lorsqu’il est complet, est trinitaire. En premier, le corps matériel, en second, l’être spirituel, en troisième, un être de pensée de loin supérieur à tous les mouvements vitaux et aux formes matérielles, dont le devoir est de diriger sagement ce grand mécanisme de vie » (Still, 2007, 19).

Ainsi donc, selon notre modèle, nous sommes fondamentalement des êtres et pas des corps. Les corps sont fragiles et transitoires, les êtres, non.
Plus l’être est identifié à son corps, plus il l’utilise comme interface de perception, ce qui donne des perceptions que nous appellerons sensorielles. Mais l’être est également capable de percevoir sans utiliser le corps. On parle alors de perceptions non sensorielles.
Cette relation permanente avec ce qui n’est pas lui permet à l’être de se sentir exister. Autrement formulé, l’être se sent exister grâce aux perceptions qu’il reçoit de son environnement, que ces perceptions transitent ou non par le corps, qu’elles soient sensorielles ou non sensorielles.

Véracité

Nous développons l’idée qu’une perception est toujours vraie, pour celui qui perçoit, au moment où il perçoit. La véracité dont je parle ici est simplement la reconnaissance que j’ai vraiment perçu quelque chose. Cette vérité est individuelle, reliée à celui qui perçoit. D’après ce qui a été développé ci-dessus, comme l’activité la plus fondamentale d’un être c’est de percevoir, si je ne reconnais pas ma perception comme vraie (ou reconnaître que j’ai perçu telle chose par la voie sensorielle ou non-sensorielle), je m’empêche d’exister. Une autre question est la pertinence de ce que j’ai perçu.

Pertinence

La pertinence d’une perception n’est plus seulement relative à celui qui perçoit, mais au contexte dans lequel se produit la perception. La véracité d’une perception est relative à la relation entre deux personnes et au contexte de cette relation. Ainsi, même si je reconnais ma perception comme vraie (j’ai perçu ce que j’ai perçu), je dois bien me rendre compte qu’elle n’est pas forcément pertinente par rapport à ce qui se vit, notamment à ce que vit le praticien par rapport à son patient et à l’objectif d’une séance de soin. Une autre personne entrant en relation avec le même sujet pourra obtenir des perceptions différentes qui seront pourtant tout aussi vraies pour elle.
Cela s’expérimente lors du travail à plusieurs praticiens, lorsque tous les opérateurs verbalisent leurs perceptions. Elles sont parfois très différentes, mais en dernier ressort, ce sont les réponses tissulaires qui permettront de déterminer la ou les perceptions à utiliser en fonction de l’intention de séance. Par conséquent, je ne peux pas – ne dois pas – imposer une de mes perceptions comme vraie dans l’absolu.

Conséquences pour l’apprentissage et l’enseignement

Si nous nous intéressons à l’histoire de l’ostéopathie et aux chemins qu’ont empruntés nos grands devanciers – Still pour l’ostéopathie, Sutherland pour l’approche crânienne et Becker pour le travail tissulaire – nous ne pouvons faire autrement que de remarquer qu’ils sont partis d’un état de « non savoir » par rapport à ce qu’ils étudiaient. Ils ont ensuite cherché en commençant par observer, puis ils ont expérimenté. C’est dans un second temps qu’ils ont modélisé ou théorisé pour tenter d’expliquer rationnellement ce qu’ils avaient ressenti et expérimenté. Leur démarche a donc été fondamentalement empirique1. Et ce qui est particulièrement intéressant, c’est que cette démarche a respecté ce qui vient d’être énoncé : d’abord la perception. Et c’est parce qu’ils ont fini par accepter la véracité de leurs perceptions qu’ils ont pu progresser. Pour ce faire, ils ont théorisé, modélisé à partir de leurs perceptions et en utilisant les connaissances dont ils disposaient à l’époque, notamment leur savoir anatomique. Cette théorisation n’est pas fausse, mais elle ne tient sans doute pas compte de tous les éléments possibles permettant d’expliquer ce qui était perçu.

Cela renvoie à notre modèle du cône dans lequel l’état de « ne pas savoir » précède l’état de « savoir ». L’expérimentation (descendre dans le cône – déduction) permet d’arriver à un état de savoir, puis la théorisation ou formulation d’hypothèse correspond à une remontée dans le cône ou induction.
Selon moi, Becker a remarquablement fait progresser la théorisation/modélisation en allant au-delà des seules réalités anatomiques utilisées par ses devanciers. Il a fait intervenir d’autres éléments de nature plus spirituelle (par exemple, le partenaire silencieux). Notons que ce qu’il décrit fait appel implicitement à la notion de conscience tissulaire qui n’est pourtant jamais explicitement évoquée.
Une originalité de l’approche tissulaire est de théoriser à partir du modèle de la conscience qui permet de comprendre un certains nombres de phénomènes qu’une simple théorisation anatomo-physiologique ne permet pas de comprendre.

Un problème avec l’enseignement

Si nous examinons la manière dont sont enseignées aujourd’hui l’ostéopathie et l’approche crânienne, nous nous apercevons que le chemin est radicalement différent : on nous explique en premier la théorie et on nous demande ensuite de percevoir en fonction de ce que dit la théorie (démarche déductive). Ce qui est fort gênant ici, c’est que si l’étudiant ne perçoit pas ce qui lui est demandé de percevoir, il a systématiquement tendance à se dévaloriser tout seul – parfois bien aidé par ses collègues quand ce n’est pas par ses enseignants…

C’est la difficulté majeure que j’ai rencontrée. Sur un crâne je ne percevais pas ce qu’on me demandait de percevoir. Tant que j’ai cherché à suivre ce chemin, je n’ai cessé de rencontrer de la difficulté. Lorsque j’ai commencé à accepter de ressentir « d’autres choses », deux questions sont immédiatement apparues : la première a été de savoir si ce que je ressentais avait une quelconque validité et la seconde a été de me demander de quel droit je pouvais affirmer que ce que je ressentais avait un sens et pouvait être aussi valide que ce qu’avaient ressenti les anciens ou ce que ressentaient les enseignants qui avaient à l’évidence une expérience plus importante que la mienne. (À cette époque, les enseignants avaient des années d’expérience de praticien, ce qui n’est hélas plus le cas aujourd’hui en tout cas en France).

De plus, nos demandes portaient essentiellement sur « quoi faire » pour ressentir quelque chose. Or mon travail ultérieur m’a montré que ce qui était essentiel, avant de « faire » quelque chose, c’était se positionner en tant qu’être. Comme exprimé plus haut, la cause est au niveau de l’être et comme déjà exprimé également, c’est l’être qui perçoit. Le faire et l’avoir (les perceptions) sont des effets.

Accepter de ressentir autrement

C’est la permission que je me suis donnée de ressentir « différemment » de ce qu’on me demandait de sentir et d’accepter cette perception comme vraie (même si je ne savais pas l’interpréter ni quoi en faire) qui m’a libéré de la difficulté. J’ai commencé à me faire confiance, sans pour autant prétendre que ce que je ressentais était « la vérité », ce qui m’a amené à accepter que d’autres puissent ressentir d’autres choses sans pour autant « être dans l’erreur ». Ce fut pour moi une grande libération.

Modéliser la perception

Il m’a fallu ensuite tenter de modéliser ce que je ressentais : à quoi cela pouvait-il bien correspondre, puisque ce n’était pas la « physiologie » crânienne (notamment, flexion/extension et rotations externe/interne) ? J’ai fini par comprendre que les mouvements divers que je ressentais correspondaient à une mobilisation d’énergie (s’il y a mouvement, c’est qu’il y a mobilisation d’énergie) et que si de l’énergie se mobilise dans, et par le mouvement, c’est qu’elle a été retenue dans le système. Cela a abouti au concept de rétention.
Mais il y a plus. Je me suis également rendu compte que l’on cherchait à m’imposer quoi sentir, mais qu’en plus on ne me fournissait pas les outils pour cela ni leur mode d’emploi. La plupart de ceux qui semblaient avoir résolu leurs problèmes de palpation l’avaient fait de manière empirique, sans être très conscients de la manière dont ils avaient procédé. Ils ne pouvaient donc pas nous l’enseigner. Sur ce point, la découverte capitale a été pour moi de comprendre que ma perception dépendait en grande partie de mon positionnement par rapport au patient et d’autres éléments relatifs à ma qualité d’être et au ressenti de certains « états corporels ». C’est ce qui a abouti au modèle des paramètres de palpation.

Les « outils de la perception »

La résolution de ces difficultés pour moi-même m’a conduit à une manière d’enseigner qui ne cherche pas à obliger les participants à suivre « mon chemin » au motif qu’il serait « le bon », mais à leur faire découvrir et expérimenter les « outils de la perception » (les paramètres de palpation) et leur mode d’emploi. Il leur reviendra ensuite de les utiliser pour tracer leur propre route avec chacun de leurs patients. Ce n’est pas forcément plus facile, mais certainement plus respectueux d’autrui.

Problèmes avec les perceptions

Mon chemin de développement personnel, mon expérience de praticien et les échanges que je peux avoir avec les stagiaires en formation, m’ont amené à penser que non seulement nous ne sommes pas égaux en matière de perception (certains perçoivent naturellement bien plus de choses que d’autres), mais nous sommes presque tous des « handicapés de la perception », c’est-à-dire que nous avons, en tant qu’êtres, des capacités potentielles de perception que depuis notre naissance nous n’avons cessé d’inhiber.
Pour la plupart, les très jeunes enfants ont des capacités perceptives très subtiles. Le problème est que cette subtilité perceptive échappe très souvent aux adultes qui les entourent et qu’aussi, ils n’ont pas les mots pour exprimer ce qu’ils ressentent. Ces ressentis génèrent (surtout lorsqu’ils sont négatifs) des réponses comportementales que l’environnement ne comprend souvent pas. Il taxe ces réponses « d’enfantillages » et tente très souvent d’y mettre fin, ce qui amène l’enfant à penser que ses perceptions sont incorrectes : pour un enfant, c’est l’adulte qui sait et qui a raison. Si l’adulte dit que ses perceptions sont incorrectes, c’est qu’il en est ainsi. Ainsi, il s’auto-invalide.
Les choses s’aggravent souvent au moment où la personne commence ses études d’ostéopathie, parce que son niveau de perception est faible ou « incorrect » (elle ne perçoit pas ce qu’on lui demande de percevoir) et elle aggrave son auto-invalidation, notamment face à l’attitude parfois arrogante de ses collègues et parfois de certains enseignants relativement à sa difficulté de perception.

Réhabiliter les perceptions

La première étape avec laquelle nous commençons dans nos stages d’approche tissulaire, c’est donc d’aider les participants à réhabiliter leurs capacités perceptives et cela commence par les amener à penser et à expérimenter qu’ils ne sont pas obligés de sentir telle ou telle chose et à accepter de travailler avec ce qu’ils perçoivent.
Cela prend du temps et dépasse largement le cadre d’une formation de quelques jours, mais nous cherchons à fournir aux participants les outils qui pourront les aider à continuer leur progression dans ce domaine.
En tant que praticiens, nous avons la chance de pouvoir travailler sur ce domaine à longueur de journée avec nos patients.

Gestion des perceptions

Mon travail avec la perception m’a conduit à m’intéresser en premier à des perceptions de type sensoriel (passant par, utilisant l’interface corporelle, donc les organes des sens). Pour gérer ce type de perceptions, j’ai eu recours à des paramètres que j’ai appelés paramètres objectifs, plus particulièrement la densité, la tension et la vitesse des tissus lorsqu’ils sont en mouvement.
Mais je me suis assez vite rendu compte que je ressentais parfois des « choses » qui n’étaient pas de type sensoriel, notamment des émotions, des intuitions, certains ressentis les yeux fermés. C’est-à-dire des perceptions qui n’utilisaient pas l’interface corporelle. Pour cette raison, je les ai appelées « non sensorielles ». Pour les gérer, j’ai eu recours à des éléments qui ne sont pas seulement reliés au corps, mais à l’être : la présence, l’intention et l’attention, auxquels j’ai donné le nom de paramètres subjectifs.

Perceptions sensorielles : que cherchons-nous ?

Dans ce domaine, nous recherchons les qualités tissulaires qui sont reliées au corps en tant que structure physique. Outre densité, tension et vitesse déjà cités, il y a le mouvement (pas le mouvement physiologique, mais le mouvement non physiologique qui indique de la libération d’énergie). Nous nous intéressons également aux zones de rétentions, plus denses et rétractées qui attirent à elles, ce que l’on ressent sous forme de tractions, avec comme objectif de les libérer.

Perceptions non-sensorielles : que cherchons-nous ?

Dans ce domaine, il ne s’agit pas vraiment de « chercher » quelque chose, mais de « laisser venir » et/ou « d’accepter » ce qui vient, des perceptions parfois étranges, qui peuvent être déroutantes, voire dérangeantes : émotions, intuitions, couleurs (les yeux fermés), parfois scènes de vies (qui manifestement n’appartiennent pas au praticien), etc. Le problème, ici, est quoi faire de ces perceptions.

Utilisation des perceptions

Dans le domaine sensoriel, ce qui nous intéresse particulièrement, ce sont toutes les zones du corps qui manifestent un état de difficulté, notamment les zones anormalement denses, indiquant, selon notre modèle des rétentions d’énergie. Le jeu consiste alors à mettre en place les différents paramètres pour obtenir une mise en mouvement de ces zones qui indique la mobilisation de l’énergie bloquée dans la rétention.
L’utilisation des perceptions non sensorielles est plus délicate. Ce que j’ai perçu est-il vraiment pertinent par rapport à la difficulté du patient ? Partant de l’idée que les structures corporelles sont dotées de conscience et peuvent donc recevoir de l’information et y répondre, j’ai été amené à utiliser l’interrogation tissulaire qui me permet de vérifier si une information non sensorielle est pertinente : lorsque je focalise l’attention sur le système corporel du patient ou sur une zone en densité et que je demande mentalement si l’information perçue est pertinente, tout changement dans la perception sensorielle des tissus m’indique une réponse positive.
Ce procédé est également fort utile lorsque nous explorons le domaine somato-émotionnel, dans lequel nous demandons au patient d’évoquer mentalement des situations à problème. Ce sont les changements dans l’état des tissus que nous avons sous la main qui nous indiquent s’il y a réellement mobilisation et libération d’énergies – notamment émotionnelles – bloquées.

Perceptions et relation d’aide

Cette question intervient de manière très prégnante dans toutes les relations d’aide et notamment la relation thérapeutique.
Une caractéristique de la personne qui cherche de l’aide, c’est qu’elle ne sait pas gérer une difficulté. Elle ne perçoit pas les solutions qui pourraient lui être utiles et va donc chercher de l’aide auprès d’un aidant (thérapeute, pédagogue, gourou, etc.).
En fait, le plus souvent, la personne qui a besoin d’aide vient chercher une solution auprès de l’aidant, pensant que ce dernier va la lui apporter. Elle part du principe que la solution est chez l’aidant. Elle lui transfère son pouvoir. C’est un piège pour l’aidé (qui ne progressera pas) comme pour l’aidant (qui ne remplira pas sa fonction réelle d’aidant consistant à permettre à l’aidé de reprendre son pouvoir personnel).

Attitude de l’aidant

Face à cela, il est facile à l’aidant de prendre le pouvoir que lui remet le patient et de devenir un praticien qui sait pour le patient.
Un des concepts de l’ostéopathie est le pouvoir d’auto-guérison existant chez tout individu. En accord avec cela, nous développons l’idée que les solutions ne sont pas chez le praticien (aidant), mais chez le patient (aidé), que ces solutions existent en lui à l’état potentiel et que le rôle de l’aidant n’est pas de les fournir toutes faites à l’aidé, mais de permettre à ce dernier de les actualiser par lui-même.
Ainsi la manière qu’a l’aidant de traiter ses perceptions par rapport à l’aidé est particulièrement importante. Extérieur au problème du patient, il est souvent bien plus facile de « voir » ce qu’il faudrait faire (ou ne pas faire). Ce problème est encore plus important pour l’aidant ayant un niveau de perception élevé. La tentation est alors importante d'indiquer les informations qu'il perçoit, voire de les imposer au patient avec l’idée qu’elles indiquent le bon chemin.
De plus, cette capacité du thérapeute lui confère auprès du patient une aura favorable. Cela veut dire que ce dernier aura spontanément tendance à faire confiance à l’aidant, supposant que ce dernier ressent mieux que lui et à l’admirer pour cela. Recevoir des flux d’admiration est très agréable et validant pour l’ego de l’aidant, mais ce n’est pas l’objectif de la relation d’aide.

La relation d’aide ne consiste pas à trouver les solutions pour le patient (ce qui revient à prendre le pouvoir sur lui), mais à l’aider à trouver son propre chemin de libération (l’aider à retrouver et augmenter son pouvoir personnel).

Perceptions dans la relation d’aide, mode d’emploi

Nous allons aborder ici la situation d’aide en stage, avec un contexte différent selon que l’on est sur niveau 1 ou niveau 2.

Sur le niveau 1 : partir du concret, le corps matière

Pour un stagiaire de niveau 1, le système corporel est matériel. Rares sont ceux qui ont déjà à ce moment de leur évolution personnelle et professionnelle conscience de la conscience corporelle. Donc, même si nous évoquons cette conscience dès le début de la formation, il faut les aider en les rejoignant dans les perceptions plutôt matérielles, de type sensoriel, à commencer par la qualité de densité et de tension des tissus du patient auxquelles il convient de s’accorder pour ouvrir la communication. L’enracinement joue déjà un rôle majeur : il nous permet d’accéder à de forts niveaux de densité chez le patient et donne à ce dernier un point d’appui permettant aux rétentions de se libérer.

Sur le niveau 2 : rester dans le concret, mais avec le corps consciences

Même si sur le niveau 2 la conscience corporelle est certainement plus présente dans l’esprit des participants, il convient de garder le contact avec le concret tissulaire donc, encore les paramètres objectifs : densité, tension et encore l’enracinement. Mais la relation peut aller plus loin et analyser ce que « disent » les consciences en rétention, en étant attentif à ne pas imposer nos propres perceptions, comme déjà évoqué. Rappelons que ce sont les réponses des tissus qui nous permettent de garder le contact avec le réel du patient.

Administrer les perceptions

Quel que soit le niveau sur lequel on travaille, les outils pour administrer ou gérer nos perceptions sont déjà connus : densité, tension, vitesse (objectifs), présence, intention, attention (subjectifs).

  • La présence et le centrage entre enracinement et lâcher prise. L’enracinement nous met à la terre, dans tous les sens du terme (électrique, racinaire, etc.) et le lâcher prise nous met en contact avec la part de divin en nous (et non à l’extérieur de nous). Il s’agit ici de notre positionnement en tant qu’être.

  • Le lâcher prise est également un moyen de mettre de côté notre mental et d’accepter qu’existe en le patient et en nous-même une autre force qui nous guide dans nos décisions et guide nos mains dans le soin, ce que Becker appelle Partenaire silencieux.

  • L’intention détermine notre objectif. En relation avec les consciences corporelles (même lorsqu’on est davantage avec leur aspect matériel), il convient d’être précis par rapport à notre objectif. À l’intention la vie répond… Cela suppose qu’à chaque intervention, nous précisons ce que nous désirons faire : obtenir de l’information, libérer ou réharmoniser.

  • L’attention détermine d’où viennent de manière privilégiée nos perceptions. Ici, c’est la qualité (la totalité) de notre engagement dans une zone corporelle du patient qui permettra de limiter le champ de perception et d’être précis par rapport à la partie à laquelle on s’adresse. Les perceptions parasites viennent souvent du fait de ne pas être totalement engagé dans l’espace corporel du patient avec lequel on travaille.

  • Les paramètres de densité-tension nous permettent d’établir une relation avec le niveau de densité-tension des tissus que nous contactons, ce qui, selon notre modèle, permet la mobilisation de l’énergie bloquée dans la rétention contactée et donc la libération.

Que faire des perceptions ? Droits et devoirs de l’aidant

Il arrive qu’un aidant ait des perceptions très fines, autres que sensorielles, notamment, intuitions, émotions, couleurs, clair/sombre, scènes de vie parfois, etc. La question qui se pose ici est de savoir si ces perceptions ou informations sont pertinentes par rapport à la difficulté du patient sur laquelle on travaille (intention de séance) et si c’est le cas, qu’en faire ?

Pertinence

La première chose à faire, c’est de s’assurer qu’il y a corrélation entre les perceptions exprimées et les réponses tissulaires du patient.

En approche tissulaire, nous avons la chance d’avoir le contact avec le corps physique du patient, lequel objective des difficultés qui ne sont pas forcément d’origine physique, mais liées à des problèmes mentaux (émotionnels) et spirituels. Le contact avec le corps physique nous met donc en relation avec l’ensemble du patient (corps, mental et être). Une perception non sensorielle ne doit être utilisée que lorsque, exprimée (verbalement ou mentalement), elle provoque une réaction (fermeture, ouverture, arrêt en contrainte) dans les tissus du patient. Ce point est capital parce que c’est quasiment le seul moyen d’être certain de la pertinence de l’information perçue.

Utilisation
  • Commencer en prenant le temps de se positionner correctement (enracinement/lâcher prise) pour fournir un point d’appui efficace au patient et en formulant une intention de séance (la raison d’être de notre intervention).

  • Travailler d’abord en utilisant les perceptions provenant de l’interface corporelle.

  • Accepter de se faire confiance, sans pour autant prétendre « avoir raison ».

  • Ne pas utiliser mes perceptions de thérapeute/enseignant pour « impressionner » le patient/étudiant.

  • D’une manière générale, ne pas exprimer ouvertement mes perceptions lorsqu’elles sont manifestement plus fines que celles du patient/étudiant.

  • Je ne me donne le droit d’exprimer et d’utiliser ouvertement mes perceptions que lorsqu’il y a une réelle nécessité pour le bien-être du patient.

  • S’assurer qu’il y a corrélation entre les perceptions exprimées et les réponses tissulaires du patient.

Perceptions du praticien et réel du patient

Il peut arriver qu’un praticien ait des perceptions subtiles qui semblent lui indiquer ce que devrait faire ou ne pas faire le patient. Son rôle n’est pas de dire ses perceptions, mais de les utiliser pour guider la personne qu’il aide à trouver elle-même la solution à sa difficulté. Allons plus loin : il faut être très précautionneux dans l’utilisation et la verbalisation de nos perceptions auprès de nos patients. Nous sommes là pour les aider, pas pour briller. Par ailleurs, la verbalisation d’une perception par le praticien ne conduit pas automatiquement à la résolution d’un problème chez le patient, notamment si ce dernier n’a pas la capacité de réellement comprendre ce qui lui est exprimé.
Le réel du patient doit être respecté, ne doit pas être outrepassé. Je vois là un point d’éthique majeur dans la relation d’un praticien avec son patient. Ma compréhension actuelle d’un être vivant m’oblige à être le moins interférant possible, à le respecter dans son corps, mais aussi dans son être.
Quel praticien ostéopathe n’a pas entendu un patient se plaindre des techniques « brutales » utilisées sur lui, parfois sans le prévenir ? Il s’agit là de techniques corporelles. Mais un praticien peut, de la même manière, se montrer intrusif à des niveaux plus subtils.
Quelles que soient mes croyances ou réalités personnelles sur le corps, la vie, etc., je ne me sens pas le droit de les imposer au patient. Quelles que soient également mes idées sur ce qui serait bon pour lui, ma certitude que telle technique somato-émotionnelle est « ce qu’il lui faudrait maintenant », je ne me donne pas le droit de l’engager dans une technique ne correspondant pas à son niveau de réalité ou pour laquelle il n’est pas prêt. Là aussi, une subtilité dans la relation praticien/patient est indispensable et repose en grande partie sur l’intuition.
En revanche, j’ai bien conscience que l’ouverture conceptuelle qui a été la mienne a créé un cadre de possibles qui n’existait pas auparavant : des patients se sont mis spontanément à vivre et exprimer des choses qu’ils ne laissaient pas transparaître auparavant.

« Je pense également important de vous rendre compte que vos compétences palpatoires sont des outils mécaniques quantiques. Il n’existe aucun moyen de rester observateur extérieur. Chaque fois que vous posez les mains sur quiconque, automatiquement, vous avez commencé à modifier ce qu’il est. Peu importe le problème, c’est inéluctable, vous l’avez modifié. Le simple fait de mener un examen signifie que vous avez déjà démarré quelque chose pour aider ce corps à s’aider. La mécanique quantique est une expérience de partage. C’est tout ce qu’elle signifie » (Becker, 2013, 86).
Le réel ostéopathique du patient

Il faut également tenir compte du réel ostéopathique du patient. Comment conçoit-il l’ostéopathie ? Pour la plupart des patients aujourd’hui, l’ostéopathe est un mécanicien et ils ne comprennent pas forcément la relation pouvant exister entre leurs symptômes et des difficultés d’être. Il faudra au praticien beaucoup de subtilité relationnelle pour comprendre jusqu’où il peut aller dans ses propositions techniques, sans heurter le réel ou les croyances de son patient ni lui imposer une démarche ou une approche qu’il ne peut comprendre.

Praticien actuel, patient potentiel2 – mode d’emploi

Beaucoup de thérapeutes s’envisagent (inconsciemment) comme immunisés. Dans la dichotomie praticien/patient, ils se trouvent du côté praticien (ils actualisent le pôle praticien) et du coup potentialisent le pôle patient. Mais dans la réalité des faits, les choses ne sont pas si simples, notamment parce que la mobilisation des énergies négatives chez le patient peut très bien mettre en résonance des énergies similaires existant chez le praticien.
Quel praticien ne s’est pas un jour ou l’autre « senti mal » après avoir traité un patient ? Bien entendu, la tendance générale consiste à rendre le patient responsable du phénomène. Mais le patient n’a aucune intention négative à l’égard de son praticien. La résonance est un phénomène physique, même si elle met parfois en jeu des énergies ou informations subtiles, notamment émotionnelles. C’est donc ici chez le praticien que se situe l’essentiel du problème.

Un premier moyen : s’enraciner

Une première réponse à cette difficulté est le placement correct du praticien, notamment son enracinement qui lui permet d’assurer un fulcrum (point d’appui) bien plus stable pour son patient. Dans ce type de pratique, le praticien joue le rôle de point d’appui pour son patient, permettant à des énergies ou informations perturbatrices de trouver un point vers lequel s’évacuer (dans et par le mouvement tissulaire, selon le modèle de l’approche tissulaire). Plus le point d’appui est stable, plus il permet à des charges importantes de se libérer et plus il limite les risques de mise en résonance chez le praticien. Un bon point d’appui donne de la puissance. Je connais une définition de la puissance dont j’ai perdu l’auteur, mais qui me semble très juste :

« La puissance, c’est la capacité à maintenir une position dans l’espace physiquement, mentalement et spirituellement. »

Second moyen : le lâcher prise

L’enracinement, la mise à la terre donne la puissance physique, mais la puissance spirituelle vient par le lien à la Conscience, celle dont parle Sutherland lorsqu’il évoque la spiritualité de Still :

« Je veux parler de l’aspect spirituel, qui lui est venu directement de son Créateur au cours d’une période parmi les plus tristes de sa vie, alors qu’il adressait une prière sincère à son Créateur, non au monde des esprits » (Sutherland, 2017, 364) (Gras ajouté par moi).

Par rapport à ce lien au Créateur (quelle que soit la manière dont nous l’envisageons personnellement), Sutherland utilisait une image à mon sens parlante, reprise par Rollin Becker dans l’une de ses plus belles conférences, donnée à Philadelphie en 1965, à la mémoire de Sutherland :

« Mes doigts qui pensent, sentent, voient et savent sont guidés intelligemment par le Grand Architecte qui a conçu ce mécanisme. L’interprétation que j’en donne importe peu, pourvu que mon trolley3 mental demeure en contact avec le Fil ». Permettez-moi de répéter : « L’interprétation que j’en donne importe peu, pourvu que mon trolley mental demeure en contact avec le Fil » (Becker, 2012, 69).

Troisième moyen : s’occuper de soi

La meilleure manière de ne pas être nous-mêmes mis en résonance par nos patients, c’est d’éliminer autant que faire se peut nos propres difficultés d’être et rétentions. J’ai à ce propos coutume de dire qu’un praticien doit être patient. Il doit accepter de temps en temps de potentialiser le pôle praticien et d’actualiser le pôle patient. Peu importe le ou les systèmes utilisés. Mon chemin de développement personnel m’a vraiment permis de comprendre que je devais m’occuper de moi et travailler sur mes propres difficultés et limites. Cela m’a permis à la fois d’ouvrir mon espace conceptuel sur la vie et le vivant et d’être moins sujet aux résonances secondaires à la relation avec autrui (patient ou non).
Rappelons pour terminer que chaque rétention (corporelle, mentale/émotionnelle, spirituelle) correspond à une partie de notre système qui vit dans un espace/temps/information qui ne sont pas ceux du présent, mais ceux du moment de création de la rétention. Libérer nos rétentions nous permet d’améliorer notre capacité à être dans l’espace/temps/information du présent.

Bibliographie

Becker, Rollin E. La vie en mouvement la vision ostéopathique de Rollin E. Becker, DO. Vannes : Sully, 2012.
Still, Andrew, Taylor. Philosophie de l’ostéopathie. Vannes : Sully, 2007.
Sutherland, William Garner. Contributions de pensée : compilation de textes de William Garner Sutherland, DO, dans le domaine de l’art et de la science de l’ostéopathie et incluant le concept crânien en ostéopathie, écrits entre 1914 et 1954. Sully, 2017.

Notes

1 Empirique : Qui est fondé sur l’expérience, sur l’observation, expérimental.
2 Un développement plus poussé de ces concepts se trouve dans un texte rédigé il y a plusieurs années et que l’on peut télécharger sur le site Internet de l’approche tissulaire : lien
3 Le trolleybus ou plus simplement trolley est un véhicule électrique de transport en commun de voyageurs. Monté comme un autobus, il n’est pas propulsé par un moteur thermique, mais pas un moteur électrique. Son courant lui est fourni par deux caténaires, généralement appelées lignes aériennes de contact. La partie qui relie le bus à la ligne électrique s’appelle trolley (de l’américain Trolley signifiant « chariot »).
L’analogie du fil du trolleybus est intéressante au moins pour deux raisons. La première est que le contact du trolley avec le fil n’est pas fixe, mais au contraire sans cesse changeant, s’adaptant aux incessants mouvements du bus, tout en conservant la conduction électrique, la seconde, parce que le lien électrique est bifilaire, permettant la circulation électrique à double flux  aller et retour.