En réfléchissant, nous nous sommes dit que cela venait sans doute du fait qu’outre ses techniques efficaces, l’ostéopathie se fonde sur une philosophie et que de plus, elle est vivante et comme toute structure vivante, en mouvement, évolutive, capable de s’adapter aux changements imposés par la vie. À ce titre, nous considérons l’approche tissulaire comme en voie d’évolution et d’adaptation de l’ostéopathie, ayant elle-même pour objectif de se maintenir et de s’adapter en permanence, pour accompagner l’évolution des consciences.

Mais tout cela est-il suffisant pour expliquer le maintien de l’ostéopathie dans le temps ? Au cours de ces réflexions, nous sommes tombés sur le concept de valeurs.

Les valeurs sont les convictions que nous considérons comme particulièrement importantes pour nous, celles qui constituent nos repères essentiels (nos fulcrums), qui nous servent pour effectuer nos choix les plus cruciaux et qui orientent donc pour une large part nos actions et nos comportements. Il s’agit donc bien encore de philosophie. Nos valeurs sont les éléments les plus stables de notre personnalité. Elles constituent le moteur qui nous fait agir et nous donne de l’énergie pour entreprendre.

Ces valeurs qui nous guident sont, elles aussi, comme notre conscience, en évolution permanente et il est de notre responsabilité de vérifier qu’elles ne nous enferment pas dans un système, mais nous permettent de conserver notre liberté d’évolution au sein de ce système.

En fouillant la question, nous avons découvert le modèle de valeurs universelles développé par le psychologue social israélien Shalom Schwartz. Dans le présent article, notre objectif n’est pas de détailler le cheminement complet de Schwartz. Nous renvoyons pour cela le lecteur intéressé au site Internet qui développe le modèle.2

Nous allons nous focaliser pour l’instant sur le fait que Schwartz retient un certain nombre de valeurs qu’il considère comme universelles et reconnues comme telles par les individus de toutes les cultures. En se plaçant au niveau de la société, Schwartz observe des similitudes étonnantes dans les hiérarchies des valeurs. Même en utilisant des instruments différents, il constate que l’ordre d’importance des dix valeurs de base est très similaire d’un échantillon représentatif à un autre. Il les appelle domaines motivationnels et finit par les hiérarchiser de la manière suivante :

1.   bienveillance
2.   universalisme
3.   autonomie
4.   sécurité
5.   conformité
6.   hédonisme
7.   réussite
8.   tradition
9.   stimulation
10. pouvoir

Selon Schwartz, il est probable que ce consensus pan-culturel dans la hiérarchie des valeurs découle de ce qui est commun à la nature humaine, ainsi que du fait que les valeurs ont des capacités adaptatives pour assurer le maintien des sociétés. En rapprochant avec ce que nous connaissons de l’ostéopathie, nous trouvons une correspondance et une pertinence évidente avec cette hiérarchie. Du même coup, nous la trouvons également pertinente avec les essentiels qui animent notre activité au sein de l’approche tissulaire.

La dimension spirituelle

Une version antérieure de la théorie des valeurs (Schwartz, 1992) émettait l’hypothèse d’une onzième valeur de base quasi universelle : la spiritualité. L’objectif des valeurs de spiritualité est le sens de la vie, la cohérence et l’harmonie intérieures, obtenus en transcendant la réalité quotidienne. Si la question du sens ultime est un besoin humain de base, alors la spiritualité doit être une valeur de base que l’on doit retrouver dans toutes les sociétés. Toutefois, les données empiriques montrent que la spiritualité n’est pas une valeur dont la signification est comprise de façon similaire dans toutes les cultures.

En revanche, si l’on se réfère à Still et à l’ostéopathie, il nous semble évident que nous pouvons ajouter cette onzième valeur à notre liste. En effet, Still évoque à plusieurs reprises la ternarité :

« Après toutes ces explications, nous devons décider que l’homme, lorsqu’il est complet, est trin. En premier, le corps matériel, en second, l’être spirituel, en troisième, un être de pensée de loin supérieur à tous les mouvements vitaux et aux formes matérielles, dont le devoir est de diriger sagement ce grand mécanisme de vie » (Philosophie de l’ostéopathie, p. 49, Philosophie et principes mécaniques, p. 39)

S’il évoque les aspects mental et spirituel de l’être humain, il ne nous donne guère de moyens pour aborder ces dimensions de l’être dans notre pratique quotidienne. Selon nous, il faut attendre Rollin Becker pour obtenir des indications sur une manière de faire pour les aborder dans la pratique, notamment avec le concept de partenaire silencieux. Le modèle de la conscience proposé par l’approche tissulaire permet aux praticiens d’intégrer ces dimensions dans leur traitement et dans leur vie.

Des relations entre les valeurs

Outre l’identification de dix ou onze valeurs fondamentales, la théorie décrit les relations de compatibilité et d’antagonisme que ces valeurs entretiennent les unes avec les autres. Cela provient du fait qu’une action centrée sur une valeur, quelle qu’elle soit, a des conséquences pouvant entrer en conflit avec certaines et être compatibles avec d’autres. Par exemple, la recherche de la réussite entre la plupart du temps en conflit avec les valeurs de bienveillance. En effet, la quête du succès personnel a tendance à entraver les actions visant à améliorer le bien-être de ceux qui auraient besoin de notre aide.

Dans le même ordre d’idée, le pouvoir peut facilement entrer en conflit avec la bienveillance, valeur classée en premier. En lisant cela, nous nous sommes rendu compte que depuis le début, dans notre approche, la bienveillance a été privilégiée aux dépens du pouvoir, de la défense, ou de la protection de nos concepts. Cela nous a permis de comprendre un certain nombre de difficultés que nous rencontrons dans la préservation de nos concepts et fondements et de discerner aussi l’existence de certaines dérives.

Nous sommes parfois surpris, effrayés, atterrés lorsque nous entendons différentes personnes parler de l’approche tissulaire. Il y a bien entendu ceux qui en parlent sans la connaître. Ils en disent souvent n’importe quoi, parfois avec un aplomb désarmant. À cela, hélas, nous ne pouvons pas faire grand-chose.

Il y a aussi ceux qui en parlent alors qu’ils ont suivi une ou plusieurs formations et en donnent des définitions et des descriptions parfois totalement à côté de ce que nous avons tenté de leur transmettre.

Nous avons tenté de palier ce problème en diffusant une information la plus juste et la plus pertinente possible, notamment avec les deux ouvrages sur l’approche tissulaire et pour ceux qui ont suivi les formations, la possibilité de visionner sur Internet les interventions théoriques proposées au cours des stages. Cela n’a rien changé…

Mais il y a plus : l’approche tissulaire a modélisé ses concepts, développé une nomenclature et mis en place un protocole pour tenter de la vivre avec les patients. Avec le temps, les concepts typiques de l’approche tissulaire se sont répandus dans le monde ostéopathique et s’y sont dilués, de sorte qu’ils sont souvent évoqués dans les formations s’adressant à divers praticiens, mais sans respect de la cohérence de nos modèles. Il ne suffit pas d’utiliser les mots pour transmettre réellement ce qu’ils véhiculent (le contenant n’est pas forcément en cohérence avec le contenu). Et lorsque nous entendons des stagiaires ayant suivi d’autres formations à l’approche tissulaire ou nous rapportant les propos de praticiens qui les ont suivis, nous nous rendons compte qu’il y a parfois un énorme hiatus entre le discours et les agissements. Autrement dit, le discours n’est pas incarné.

Respecter et faire respecter nos valeurs

Dès l’origine, nous avons délibérément privilégié le point 1 de la hiérarchie de Schwartz, la bienveillance, au détriment du point 10, le pouvoir, la protection. Il nous apparaît aujourd’hui évident qu’il est indispensable de s’en préoccuper davantage. En conséquence, plusieurs mesures ont été prises dans ce sens.

La première a été la création d’une société appelée ATO Formations qui a racheté l’activité de formation et assure aujourd’hui le développement, l’enseignement et la protection de l’approche tissulaire de l’ostéopathie.

La seconde a consisté réorganiser les équipes de co-animateurs.

La troisième, enfin a consisté à protéger le titre Approche tissulaire de l’ostéopathie, et le sigle correspondant, désormais déposés auprès de l’INPI.

Ainsi, le nom « Approche tissulaire de l’ostéopathie » et le sigle correspondant ne peuvent plus désormais être utilisés dans des noms de formations, dans des promotions, publications, documents transmis en stages, sites Internet, etc. sans l’accord écrit d’ATO Formations qui entamera toutes actions nécessaires pour faire respecter ce point.

Keep it pure, boys, keep it pure.

1 Discours de Jean Jaurès devant la Chambre des députés, 21 janvier 1910. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, 22 janvier 1910, p. 260.

2 Source : d’après Shalom Schwartz, Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications, traduction Béatrice Hammer et Monique Wach, Revue française de sociologie, Ed Ophrys, 2006/4 – Volume 47, pages 929 à 968. Article complet sur Cairn.info.