{tab=Les auteurs}

Caroline Bouin

Le doute comme école de la perception ostéopathique.

Simon Parizet

La présence ostéopathique en question.

Alain Andrieu

Une forme de tendresse à l’œuvre dans la pratique ostéopathique.

Frédéric Luczak

Développement de la pensée d’Andrew Taylor Still dans le contexte thérapeutique du méthodisme de John Wesley.

Marjolaine Bouaissier

Le rapport corps-esprit dans la construction d’une pratique ostéopathique.

Marie Eckert

Le fulcrum ostéopathique comme mise en œuvre d’une altérité : ostéopathie et phénoménologie.

Renaud Rannou

Ostéopathie et émergence pour dépasser le réductionnisme.

François Bel

Initiation à la perception subtile par l’expérience partagée entre l’étudiant et l’ostéopathe.

Ildiko Néplaz

Les représentations de la main dans la formation au métier d’ostéopathe.

Monique Thinat

Ostéopathie et mots du corps : l’exploration d’une alliance.

Chantal Ropars

Quand la souffrance vient de l’enfance.

{tab=Table des matières}

Préface – Pr Jean-Marie Gueullette
Introduction à une philosophie de l’ostéopathie – Laurent Denizeau

POSTURES
• Le doute comme école de la perception ostéopathique – Caroline Bouin
• La présence ostéopathique en question – Simon Parizet
• Une forme de tendresse à l’œuvre dans la pratique ostéopathique – Alain Andrieu

FONDEMENTS HISTORIQUES ET PHILOSOPHIQUES
• Développement de la pensée d’Andrew Taylor Still dans le contexte thérapeutique du méthodisme de John Wesley – Frédéric Luczak
• Le rapport corps-esprit dans la construction d’une pratique ostéopathique – Marjolaine Bouaissier
• Le fulcrum ostéopathique comme mise en œuvre d’une altérité : ostéopathie et phénoménologie – Marie Eckert
• Ostéopathie et émergence pour dépasser le réductionnisme – Renaud Rannou

TRANSMISSION
Initiation à la perception subtile par l’expérience partagée entre l’étudiant et l’ostéopathe – François Bel
Les représentations de la main dans la formation au métier d’ostéopathe – Ildiko Néplaz

MÉMOIRE DU CORPS
Ostéopathie et mots du corps : l’exploration d’une alliance – Monique Thinat
Quand la souffrance vient de l’enfance – Chantal Ropars

Présentation des auteurs
Table des matières

{tab=Préface J-M Gueulette}

Préface

Des ostéopathes prennent ici la parole. Ils tentent de rendre compte de ce qui fait leur expérience perceptive, relationnelle et thérapeutique quotidienne, et de l’analyser avec des outils philo­sophiques. Des ostéopathes qui publient un ouvrage de philoso­phie, voilà qui n’est pas habituel. Voilà qui peut faire grincer des dents aussi bien les philosophes de métier, que les ostéopathes convaincus que la seule philosophie valable pour l’ostéopathie serait celle de Still.

Les textes qui composent cet ouvrage sont le fruit d’un long dialogue, instauré entre universitaires et ostéopathes au sein du D.U. « Philosophie de l’ostéopathie » que nous avons créé en 2014. Lorsque nous sommes entrés en relation avec le milieu ostéopathique par le biais de l’élaboration éthique et déontolo­gique, nous avons été frappés par le contraste chez eux entre une expérience radicalement originale et la difficulté à l’exprimer. Nous ne nous trouvions pas en présence d’un milieu profession­nel qui aurait élaboré un jargon interne et qui aurait éprouvé la nécessité de traduire ce jargon pour le grand public. C’est déjà au sein même de la profession, c’est entre eux que les ostéopathes ont du mal à mettre des mots sur ce qui fait pourtant le cœur de leur métier. « Tu vois, c’est au niveau du foie Tu as vu, ça a lâché », voilà des expressions que l’on entend facilement lorsque deux ostéopathes prennent le risque de travailler ensemble sur le même patient, mais personne ne semble s’être posé la question de ce que signifie voir, ou lâcher, ni même quelle est la réalité que l’on désigne prudemment par « ça » Il nous est donc apparu assez rapidement que l’apprentissage du raisonnement par la philosophie, et la mise en place d’une plus grande rigueur de langage pourrait être aussi utiles à la profession que la publi­cation d’études cherchant à prouver son efficacité.

L’expérience fut passablement déroutante, pour tout le monde Pour les spécialistes de sciences humaines et de phi­losophie que nous sommes, il nous a fallu trouver les moyens pédagogiques pour rendre la tradition philosophique abordable à des auditeurs peu coutumiers de la pensée spéculative. Il nous a fallu leur donner des outils pour oser se lancer dans une écriture structurée et argumentative. Il nous a fallu aussi, et ce n’est pas la moindre originalité de cette formation, oser y « mettre les mains », ou nous « mettre sur la table », puisque les cours ont été d’emblée articulés avec des temps de pratique ostéopathique qui donnent lieu à de longs moments d’échange et d’élaboration, qui croisent concepts philosophiques et expérience vécue. Du côté des ostéopathes, ce serait à eux de partager l’impact de cette expérience d’un an de formation philosophique. Mais leurs témoignages montrent, à notre grande surprise, que leur percep­tion même a pu se trouv er modifiée, que leur comportement au cabinet n’est plus le même, le discours qu’ils tiennent avec leur patient a gagné en rigueur, en exigence éthique aussi. Il leur a fallu, lorsqu’ils venaient à Lyon, ou préparaient leur mémoire, apprendre à écouter les textes. Il est en effet toujours étonnant de voir comment les ostéopathes sont de grands praticiens de l’écoute fine, profonde et éminemment respectueuse de leurs patients, jusque dans le silence de leur corps, et que paradoxa­lement, ils ont souvent de grandes difficultés à écouter un texte dans ce que celui-ci a à dire. Dans de nombreuses publications, les citations sont tronquées, réécrites en fonction de celui qui les propose, les textes ne sont lus que dans le sens où ils confortent des idées que l’on avait déjà, souvent au mépris de leur contexte d’élaboration. De même que l’anatomie est une discipline aus­tère mais qui donne un cadre à une perception qui pourrait sans elle se transformer en projection, de même l’apprentissage des méthodes d’interprétation des textes en histoire, en philosophie ou en littérature est un point de passage obligé pour entrer dans une véritable écoute de ces textes et de ce qu’ils ont à dire. Très vite, il est apparu, et c’est stimulant, qu’aucun philosophe ne pouvait être convoqué comme le philosophe de référence de l’ostéopathie ou de la perception ostéopathique. C’est pourquoi le lecteur rencontrera dans ces pages Merleau-Ponty et Bachelard, Bergson et Aristote, Freud et Buber, selon que leurs réflexions viennent, pour une part, éclairer l’expérience ostéopathique.

À l’issue de cette formation, des ostéopathes prennent la parole en philosophie, et leurs formateurs se taisent, leur laissant la parole. Le caractère polychrome et inachevé de ce volume et des textes qui le composent doit être regardé comme le signe d’un travail qui commence, des premiers pas dans l’exploration d’un champ immense et passionnant, dans lequel les contribu­teurs ont fait figure de pionniers, en espérant bien être suivis par d’autres.

Pr Jean-Marie Gueullette

Directeur du Centre Interdisciplinaire d’Ethique
Université catholique de Lyon

{tab=Introduction L. Deniseau}

Introduction à une philosophie de l’ostéopathie

Une de mes grandes découvertes (personnelles) de ces dernières années a été de pouvoir poser la question : « qu’est-ce qu’un corps ? » Question naïve puisque le corps semble s’imposer à nous par sa réalité matérielle. Il revient à la médecine, et plus particulièrement à l’anatomie, de l’observer, de l’explorer, d’en rapporter des images, de le mesurer, etc. Ces images du corps, ces représentations du corps sont communes à la biomédecine et à l’ostéopathie. Mais elles les articulent chacune à leur manière dans un système de pensée et surtout dans un rapport au corps et une conception du soin tout à fait différents. Ce qui m’a souvent surpris, c’est la confiance accordée au corps dans l’ostéopathie qui renoue avec la tradition de la natura medicatrix d’Hippocrate dont les développements technoscientifiques considérables de la biomédecine tendent à l’éloigner. Mais ce qu’il nous faut ici entendre, c’est la question des représentations.

Notre expérience corporelle, tout comme nos connaissances du corps, sont indis­sociables de la manière dont nous nous le représentons. Nous apprenons à voir le monde, et notre manière de voir le monde module l’expérience que l’on en a, jusque dans notre expérience corporelle, donc dans ce qui, a priori, semblerait le plus natu­rel. Notre rapport au corps n’est pas naturel mais dépend d’un contexte de représentations, d’une manière de voir le monde que nous appelons la culture. Il s’agit donc de faire droit au corps, non uniquement dans sa réalité biologique mais aussi dans sa réalité symbolique : le corps est une construction culturelle. Et il y a une diversité culturelle de manière de concevoir le corps, de ses constituants jusqu’à ses performances. Le rapport au corps ne peut donc être appréhendé indépendamment des concep­tions du sujet, de la manière de penser la place de l’homme dans le monde. Dans notre société, une histoire a façonné notre conception actuelle de l’homme comme assemblage d’un corps et d’un esprit. L’homme est un esprit qui habite un corps. Nous avons un corps. Le corps est devenu, au fil de notre histoire, un élément isolable de l’homme. Mais cette conception du corps n’est pas universelle. Il s’agit donc de considérer moins le corps que l’expérience corporelle du monde toujours située dans une culture, dans l’histoire d’un sujet. Rafael Mandressi dit à propos de l’histoire de l’anatomie qu’elle est l’invention du corps en Occident1. Car tout corps est regardé, et le rapport au corps se construit dans ce regard. Lorsque l’anatomiste ouvre un corps, il l’ouvre en fonction de ce qu’il cherche : la dissection est une démonstration. Dans cette optique, la découverte n’apparaît plus comme la révélation d’une réalité invisible jusqu’à lors, mais comme la transformation d’un regard sur le monde.

Lorsque j’ai été amené à côtoyer des ostéopathes, dans le cadre du programme de recherche du Centre Interdisciplinaire d’Ethique de l’Université catholique de Lyon « Quêtes contem­poraines de guérison », j’étais loin d’imaginer que ces travaux allaient me conduire à me demander ce qu’est un corps. Et pour­tant, à observer les ostéopathes pratiquer, à les écouter me parler de l’ostéopathie, à me confronter à quelques textes présentés comme fondateurs, mais aussi à me retrouver sur la table, ce corps qui se donnait à voir dans une telle évidence s’est trouvé étrange. Non pas étranger mais étrange. Mon corps, mais sur­tout mon idée du corps. Je prenais mes distances avec ce corps qui se donnait à voir comme une réalité objective pour prendre conscience de mes représentations du corps, partagées par mes contemporains. Et j’ai écouté des ostéopathes me dirent de bien curieuses choses : il y a un autre mouvement que le mouvement respiratoire, les os du crâne bougent, les tissus savent, etc. J’ai écouté les ostéopathes me parler de leurs perceptions du corps, qui ne sont pas uniformes. Et je les ai écoutés peiner à rendre compte de ces perceptions, en utilisant des métaphores qui, en dehors de leur contexte d’énonciation, peuvent sembler tout à fait surréalistes : la perception d’un tibia plié par exemple, pour rendre compte d’une jambe qui, de l’extérieur, mais de l’exté­rieur seulement, semblait tout à fait normale, et d’apprendre que ce tibia plié n’est pas vraiment un tibia plié. J’ai vite compris qu’il ne fallait pas prendre ces discours au pied de la lettre mais qu’il fallait néanmoins les prendre au sérieux. Ces travaux ont contribué à ramener de l’inévidence dans l’évidence du corps, de l’étrangeté dans cette familiarité du corps. Le corps ne va pas de soi, notre rapport au corps n’a rien d’évident. Le corps apparaît moins comme une terre dont chaque parcelle est connue que comme une réalité mystérieuse, aussi parce que l’on a cru en faire une réalité isolable alors qu’elle est inextricablement liée à un environnement social et culturel, à une histoire et que ces interactions sont subtiles. Il se joue, dans notre expérience corporelle, des choses dont on peine à rendre compte. Parce que l’expérience corporelle n’est pas l’expérience du corps mais l’expérience d’un sujet qui est corporellement au monde. Nous faisons là, en profondeur, ce qu’est une démarche philosophique : une expérience d’étonnement. Il s’agit bien de s’étonner pour pouvoir questionner, dépasser ce qui va de soi. Ramener de l’étrangeté dans le familier. L’étonnement est à la source de toute pensée.

Ces Approches philosophiques de l’ostéopathie sont à appré­hender comme le récit de ces expériences d’étonnement. L’enjeu est de se laisser surprendre, d’accepter de se laisser parfois dépas­ser par l’expérience ostéopathique, mais de s’atteler à rendre compte de cette expérience de ce qui échappe. Ces approches ne sont pas La philosophie de l’ostéopathie. Ce sont des propositions de cheminement dans la singularité des parcours ostéopathiques de leurs auteurs, pratiquants différemment, ayant aussi des dis­cours divers sur l’ostéopathie mais ayant pour point commun d’accepter de se laisser questionner par leurs expériences ou par les textes. Ces contributions sont nées d’une rencontre entre des universitaires issus de disciplines différentes (philosophie, psy­chologie, psychanalyse, théologie, lettres, anthropologie, méde­cine, histoire) et des ostéopathes venus participer au Diplôme d’Université « Philosophie de l’ostéopathie » mis en place au Centre Interdisciplinaire d’Éthique de l’Université catholique de Lyon depuis septembre 2014. L’exigence universitaire s’est trouvée confrontée à la richesse de la pratique pour penser ensemble la perception et la relation en ostéopathie. Les ostéo­pathes sont entrés dans la lecture de textes universitaires, et les universitaires se sont retrouvés sur la table des ostéopathes. Ce qui nous a conduit à questionner nos propres représentations du corps, et plus en amont de l’homme, et de mesurer combien notre manière de penser le monde est marquée par la catégorisation : le corps et l’esprit, la sensation souvent dite à tort « pure » et l’émotion, le biologique et le symbolique, ce qui se donne à voir de l’extérieur et ce qui est vécu de l’intérieur, l’objectif et le subjectif, la raison et l’imaginaire, l’universel et le singulier. Ces catégories ne valent que comme modèle d’intelligibilité et peinent à rendre compte de ce qui est vécu, car ce qui est vécu dans le corps n’est jamais seulement dans le corps.

Ce diplôme d’université donnait lieu à un mémoire portant sur un sujet choisi par l’auditeur et l’amenant à venir question­ner quelques présupposés de sa pratique de l’ostéopathie et pour certains de l’enseignement de l’ostéopathie, quelques textes fon­dateurs, voire quelques séances d’ostéopathie très déroutantes. Ces Approches sont issues des travaux de deux promotions du diplôme d’université répondant au plus près à l’exigence d’un travail universitaire. Les propositions qui naissent de cette ren­contre ont davantage l’allure et la fécondité de questions plutôt que de réponses. Chaque auteur s’empare de son sujet selon sa sensibilité ostéopathique dans un style de pensée et d’écriture qui lui est propre et que nous n’avons pas voulu niveler. En s’ins­pirant d’auteurs issus de la tradition philosophique mais aussi d’autres disciplines universitaires, ces contributions appellent à fonder épistémologiquement la pratique de l’ostéopathie en dehors des schèmes de pensée issus des sciences dites dures. Il s’agit de laisser droit à la subjectivité non comme obstacle sur le chemin de la connaissance mais comme objet même d’une réflexion soucieuse de considérer ce qu’est la relation thérapeu­tique : une relation intersubjective. Ces contributions sont orga­nisées selon trois axes thématiques. L’entrée dans cet ouvrage se fait par des réflexions portant sur les postures de l’ostéopathe : postures de pensée, postures relationnelles, postures de percep­tion. Puis, les contributions s’attachent dans un deuxième temps à considérer les fondements historiques et philosophiques de l’ostéopathie à même d’éclairer les débats et prises de position actuels. Dans un dernier volet, les auteurs s’interrogent sur la manière de transmettre cette singulière perception d’un sujet incarné et sur ce qui se dit, dans une séance, du sujet dans une comparaison aussi honnête que possible avec ce qui est vécu en psychothérapie. Puisse le lecteur découvrir ces contributions avec tout l’étonnement qui les a vu naître.

Laurent Denizeau

Directeur pédagogique du D. U.
Philosophie de l’ostéopathie
Centre Interdisciplinaire d’Ethique
Université catholique de Lyon

1R. Mandressi, Le regard de l’anatomiste - Dissections et invention du corps en Occident, Seuil, Paris, 2003.