Avant-propos de l'auteur
Ce travail a été terminé la première fois en mai 2009, sous forme de thèse pour l'obtention du diplôme d'ostéopathie. Pour diverses raisons, ce ne fut pas le cas et pendant les cinq dernières années, il dormait sur la tablette. De temps en temps, j'y repensais et je me disais qu'il faudrait bien en faire quelque chose. Durant les six mois qu'avait duré la rédaction de cette thèse, je crois que j'ai appris plus sur l'ostéopathie que durant les six années de formation et j'avais envie d'aller plus loin. Et puis, ce concept de pause, dont je voyais les effets tous les jours dans ma pratique, il fallait aussi le pousser de l'avant. Je l'ai donc sorti des tablettes en mars 2014, dans le but de m'y remettre et comme toute chose arrive à point, M. Crépon de chez Sully m'écrit quelques mois plus tard pour m'inviter à le visiter et à parler livres... Et me voilà repartie dans ce travail, l'améliorant, le peaufinant et y ajoutant les commentaires de deux ostéopathes extraordinaires, Dr Roger Robitaille D.O. et Dr Francesco Cerritelli D.O. qui avaient pris le temps de lire et de noter la version 2009.
Peut-être que tel un bon vin, un petit cinq ans en cave a fait de la version 2014 une version grandement améliorée.
Ce mémoire avait besoin d'une pause... semble-t-il...

« Tout système complexe, qu'il s'agisse d'une machine-outil, d'un ordinateur ou d'un être humain, doit être cohérent avec lui-même. Les parties qui le composent doivent travailler ensemble, chacune soutenant chaque action des autres. Ainsi seulement peut-on en tirer le meilleur parti possible. »1

Pour être en cohérence avec ma vie, avec tout ce qui me compose, avec tout ce que j'ai appris durant plusieurs années d'études (acupuncture, homéopathie, différentes thérapies manuelles et maintenant ostéopathie) et en tant que système complexe, je me devais de chercher un lien qui non seulement unirait deux domaines malencontreusement mis en opposition (la science versus les méthodes de soin dites énergétiques2), mais aussi qui les bonifierait, afin d'en tirer le meilleur parti possible.
Le mouvement est le signe de la vie. Ce mouvement peut être une vibration, une onde, une oscillation, un balancement, un écoulement, une pulsation, un flux, une impulsion, une expansion, une fluctuation, un échange, etc. Tous les êtres humains sont animés par ces mouvements et pourtant, il n'y a pas deux êtres pareils. Ce qui peut les différencier, ce n'est pas la physiologie car celle-ci est la même pour tous. Ce qui peut les différencier, ce sont leurs rythmes. Or, qui dit rythme, dit aussi pause.

Nous avons eu connaissance durant les dernières années de méthodes manuelles qui tiraient profit d'un temps de pause, variable selon les méthodes. On prend par exemple le temps de pause de 90 secondes utilisé par Lawrence Jones D.O., celui de 120 secondes de la technique Bowen ou le « still-point » de Rollin Becker D.O. et autres ostéopathes. Comment cette pause s explique-t-elle physiologiquement et comment pourrait-elle faire partie intégrante de l'ostéopathie ?
La méthode déductive et la méthode inductive sont deux manières de participer à l'élaboration de la connaissance en général et de la connaissance scientifique en particulier.

La démarche déductive a pour point de départ des concepts, des définitions, des principes, des règles à appliquer et a pour but de les mettre en pratique par des applications concrètes. La démarche inductive procède d'une démarche inverse. Elle a pour point de départ des situations concrètes et accessibles à l'observateur et a pour but d'amener à dégager des concepts, des principes ou des règles applicables. Puisqu'ici on doit d'abord poser un problème, « est-ce que l'ostéopathie aurait avantage à inclure des temps de pause dans les traitements ? », on doit choisir la méthode inductive afin de nous amener à formuler un principe, qui pourra éventuellement devenir l'hypothèse d'une recherche utilisant la méthode déductive.
La science et la médecine ont leur vision spécifique de l'être humain. Il en est de même pour l'ostéopathie, la philosophie et toutes les sciences qui s'approchent de près ou de loin de l'être humain. Nous devons essayer d'éloigner notre regard afin de mieux cerner ce qui les unit.

Certains ont tendance à critiquer la science et à lui reprocher d'avoir morcelé la vie en compartiments distincts, oubliant ainsi la globalité de l'être. Je suis plutôt reconnaissante à la science d'avoir mis en évidence certains aspects communs présents chez tous les êtres, d'avoir décortiqué, analysé et même compartimenté. Une fois que l'on sait ce qui est commun à tous, on est à même de percevoir ce qui est particulier chez un individu. Nous allons donc nous référer aux connaissances scientifiques actuelles pour tenter de cerner la physiologie de la pause, et constater quelle est commune chez tous les êtres humains même si le rythme est propre à chacun.

Ensuite, qu'est-ce que l'ostéopathie entend par rythmes et temps d'intégration ? Peut-on concilier les deux visions ?
De mots mis ensemble n'ont aucune signification si ces mots ne sont pas organisés. Lorsqu'on les agence, qu'on leur donne un sens, qu'on y insère des pauses, cela devient un texte, une histoire. Lorsqu'on y met du rythme, cela devient un poème.
Le rythme, c'est la poésie de la vie.

Introduction
« J'ai commencé à vraiment progresser lorsque j'ai compris que la vraie question, c'est la vie, et que, l'ostéopathie étant incluse dans la vie, le meilleur moyen pour la comprendre, c'est de comprendre la vie. »3

Ainsi, l'ostéopathe se doit de connaître tout ce qui touche l'homme, la vie, la vie de l'homme. La globalité est un des principes fondateurs de la philosophie de l'ostéopathie. La biologie et la physiologie ne sont qu'une partie de la vie, mais une partie essentielle dans la connaissance de l'humain, donc de l'ostéopathie. Sans que l'accent hait jamais été mis particulièrement sur les pauses dans les livres de biologie ou de physiologie, on s'aperçoit que la vie est rythmée, qu'il y a des moments de « pause », quelle n'est pas seulement en mouvement. L'homéostasie par exemple est un phénomène qui obéit à cette tendance au rythme (ex : circadien, respiratoire, cardiaque, intestinal, rénal, utérin, etc.). La gestion des informations extérieures, encore ici rythmée, passe par trois temps afin d'établir une action de régulation du milieu intérieur : l'influx, l'intégration et la réponse. Ces rythmes existent à tous les niveaux de la vie.
La durée de temps entre l'influx et l'intégration semble en général très rapide. C'est la durée de temps que prend l'intégration et celle entre l'intégration et la réponse qui varie, et qui varie parfois beaucoup.

En musique, on dira : « L'anacrouse anticipe, la crouse frappe, la métacrouse recueille ».4 La métacrouse, c'est la pause, sans laquelle aucune symphonie n'existerait. C'est le silence qui permet d'entendre.
L'objet de cet ouvrage n'est pas de faire la preuve scientifique de la nécessité de faire une pause dans les traitements ostéopathiques ou de thérapie manuelle mais bien de tenter de mettre en évidence que l'ostéopathie, bien qu'ayant développé une philosophie des plus complètes avec des techniques maintes fois reconnues pour leur efficacité, pourrait tirer encore un meilleur profit de certains aspects de la vie dont font partie les temps d'intégration et les pauses ou « la métacrouse physiologique ».

Un dernier point à souligner, très important. Pour ce travail, je me suis référée au système nerveux, tel qu'on le connaît à travers la physiologie d'aujourd'hui. Il est important que ce travail puisse être lu et accepté par les scientifiques contemporains. Lazorthes nous dit que nos organes des sens sont comparables à des fentes; ils ne laissent passer qu'une étroite bande d'effluves, de radiations lumineuses, d'ondes sonores.
« Le cerveau est un mécanisme réducteur qui permet de porter une attention sélective à certains stimuli dans le but de réagir de façon appropriée ».5
Il cite aussi Aldous Huxley, célèbre auteur britannique, qui compare le cerveau à une vanne de réduction qui ne laisse passer qu'un filet de réalité dans son circuit. Plus important encore, les appareils sensoriels ne sont pas constitués seulement par les organes qui captent les stimulations et les voies qui les transmettent, mais aussi par les aires spécialisées de l'écorce cérébrale qui perçoivent. Elles ont des particularités spécifiques et capacités individuelles variables d'un homme à l'autre. « Si on pouvait greffer un œil humain sur un autre homme, il est probable que sa vision resterait la même, mais que son interprétation serait différente ».6

Nous pouvons ici dégager au moins deux idées :

• Si nos sens sont des étroites fentes qui ne laissent passer qu'une partie de la réalité, il en existe donc une autre partie qui ne nous est pas accessible.7 Cette partie qui nous est occultée, représente-t-elle une réalité moindre, plus importante ? Nous ne le savons pas. Il me semble que nous aurions avantage à garder l'esprit ouvert et neutre devant les choses qui nous apparaissent improbables ou impossibles car ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas mesurer un phénomène qu'il n'existe pas.

• Cela nous rappelle aussi que, pour chaque ostéopathe, l'interprétation de ce qu'il ressent chez son patient, que ce soit un rythme, liquidien ou énergétique, une expansion, une vague, une marée, peu importe ce qu'il ressent, son interprétation sera probablement légèrement (ou complètement) différente de celle d'un autre ostéopathe vis-à-vis le même phénomène.

Je ne parlerai pas de l'interprétation philosophique de différents ostéopathes vis-à-vis les phénomènes qu'ils ressentent; je tenterai de me limiter à des considérations purement « physiologiques » et tenterai de montrer que le fonctionnement du système nerveux justifie par lui-même l'importance d'appliquer le concept de temps d'intégration somatosensorielle aux traitements ostéopathiques ou de thérapie manuelle.

Le chapitre 1, Parler le langage du corps, met en évidence le fonctionnement du système nerveux et du système endocrinien, avec un rappel physiologique de leurs principales fonctions.

Le chapitre 2, L'homéostasie , nous entraîne vers les nouveaux concepts d'allostasie et de toucher limbique (ou toucher sensuel).

Le chapitre 3 Les temps d'intégration en ostéopathie, est un bref survol, à travers l'histoire, de grands ostéopathes qui utilisaient déjà les délais d'intégration et comment l'ostéopathie s'approche parfois de très près du temps d'intégration somatosensorielle.

Le chapitre 4 Le temps d'intégration dans d'autres thérapies manuelles porte sur certaines thérapies manuelles qui insistent déjà sur les « pauses » et les explications qu'elles en font.

Au chapitre 5, Analyse conceptuelle, nous tenterons de définir les différents types de pause et d'analyser le bien-fondé de l'utilisation d'un temps de pause en ostéopathie en rapport avec la physiologie et la philosophie de l'ostéopathie.

1. Robbins, Anthony, Pouvoir illimité, Les Éditions Laffont, 1989, p. 419.
2. Ostéopathie en tant que méthode énergétique : « La théorie énergétique consiste à dire que l'homme produit de l'énergie, en récupère, en perd. Ces échanges se font d'une manière harmonieuse et équilibrée : l'homme est en bonne santé; si, au contraire, l'équilibre énergétique partiel ou global est rompu, l'homme sera malade ». Barral, Jean-Pierre, Manipulations viscérales 7, Elsevier, 2e édition, 2004, p. 12.
3. Tricot, Pierre, Approche tissulaire de l'ostéopathie, Éditions Sully, Vannes, 2005, p. 9.
4. Sauvanet, Pierre, Le rythme et la raison, Éditions Kimé, France, 2000, p. 177.
5. Lazorthes, Guy, L'ouvrage des sens, Éditions Flammarion, Paris, 1986, p. 208.
6. Lazorthes, Guy, L'ouvrage des sens, Éditions Flammarion, Paris, 1986, p. 207.
7. Par exemple, l'homme perçoit les sons compris entre 16 Hz et 20 000 Hz. Les sons en dessous de 16 Hz sont appelés infrasons et au-dessus de 20 000 Hz, ils sont appelés ultrasons. Certains animaux, comme la baleine, la girafe et l'éléphant, sont sensibles aux infrasons que nos oreilles ne peuvent pas entendre. D'autres, tel le dauphin, peuvent entendre jusqu'à 130 000 Hz. Leur réalité est bien différente de la nôtre. Se pourrait-il que certaines personnes entendent des infrasons ou des ultrasons ? Certaines personnes pourraient-elle être plus ou moins sensible par rapport à la norme ?

Sommaire

Remerciements
Préface
Avant-propos
Introduction

1 • Parler le langage du corps
Composantes fonctionnelles du système nerveux
Les différents types de communication du système nerveux
Les afférences : les récepteurs sensitivo-sensoriels
Les afférences : le système somesthésique
Le traitement de l’information

2 • L’allostasie pour le maintien de l’homéostasie
L’allostasie
La charge allostatique
La surcharge allostatique
Le toucher sensuel (limbique)
L’homéostasie dans les mains des thérapeutes manuels

3 • Les temps d’intégration en ostéopathie
Fluctuation du liquide céphalo-rachidien (LCR)
Mécanisme Respiratoire Primaire (MRP)
Le « still-point »
Pierre Tricot – La saturation d’énergie et le refus
Nicette Sergueef et l’onde de Traube-Hering : une pause accidentelle
Rollin Becker – Le moment de calme
Daniel Fernandez – Un temps d’intégration somatosensorielle ?
John E. Upledger – Le point de repos
James Jealous – Le point neutre
Andrew Taylor Still – «Find it, fix it, and leave it alone; Nature will do the rest»
Trouver un point commun

4 • Les temps d’intégrationdans d’autres thérapies manuelles
Chiropraxie
Strain-CounterStrain (tension contre-tension)
La vibration mécanique du Dr Snow et la spondylothérapie du Dr Gregory
La technique Bowen
La microkinésithérapie
La méthode Niromathé
On fait la pause parce qu’on le sent

5 • Analyse conceptuelle
Les différents types de pause
Le bien-fondé d’un temps de pause en ostéopathie en rapport avec la physiologie
Le bien-fondé d’un temps de pause en ostéopathie en rapport avec sa philosophie
Comment intégrer la pause dans les traitements ostéopathiques ?

Conclusion

Annexe 1 - La plasticité synaptique
Annexe 2 - Les observations du Dr Jean-Claude Guimberteau
Annexe 3 - Le LCR et la fibre fasciale collagénique
Annexe 4 - Phototransduction circadienne extraoculaire
Annexe 5 - Ce que le thérapeute peut observer durant et après un still-point
Annexe 6 - Encodage des forces tactiles dans le cortex somatosensoriel primaire

Épilogue
Table des illustrations
Bibliographie