L'oeuvre de Still est-elle une nécessité ?
Anthony Mougel, juin 2011 Marseille
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Introduction
Comment parler d'ostéopathie sans parler au préalable d'Andrew Taylor Still ? Nous avons tous aux lèvres une réponse évidente que nous voulons exprimer haut et fort : « Impossible ! »
Mais la vrai question est : « Que savons-nous réellement de Still ? » A cette question, nous pourrions malheureusement répondre : « Le strict minimum, et encore... ».
Nous connaissons son nom, Andrew Taylor Still. Pour certains quelques dates comme le 6 août 1828, le 22 juin 1874, ou encore le 12 décembre 1917 (pour ceux qui ne savent pas à quoi elles correspondent, nous leurs demanderons d'être d'autant plus attentifs à ce qui suit).
Bien entendu nous connaissons tous des petites anecdotes comme le mal de tête du jeune Andrew, les tombes indiennes, ou encore l'enfant atteint de dysenterie. Tout le monde connaît la loi de l'artère ou la chimérique dysfonction primaire.
Mais que connaissons-nous réellement de son œuvre ? Combien peuvent prétendre démêler le faux du vrai, les « on dit » ? Quel était son véritable enseignement ? Combien seraient capables de citer ses influences ? Nous ne parlons que très peu, voir pas du tout de cela. Pourquoi ? Selon Pierre Tricot, traducteur français d'une grande partie de l'œuvre de Still, celui qui autre fois fut notre fondateur, notre mentor, est aujourd'hui « un ancêtre inconnu et ... encombrant. »1 Inconnu, car lui et son œuvre sont loin d'être la priorité d'un grand nombre d'ostéopathes et encore moins des étudiants. « Aujourd'hui lorsqu'en stage ou lors de séminaires post-gradués en collège, je demande à des étudiants de fin de cycle de formation ‘Qui a lu Autobiographie ? Qui a lu Philosophie de l'ostéopathie ?’, je suis atterré de voir le peu de mains qui se lèvent, lorsqu'il s'en lève... Les jeunes ostéopathes ou futurs ostéopathes ne connaissent quasiment pas Still, ni son histoire, ni celle de l'ostéopathie. »2
Certains contrediront cet argument, en disant que Still est connu par le biais de cours spécifiques d'histoire et de philosophie ostéopathiques au sein des collèges. Mais disons simplement que pour ceux ayant eu la chance d'avoir de tels cours, qu'il est évident que toutes les subtilités et la complexité de notre philosophie, ne peuvent toutes être abordées de manière approfondie. Il en résulte que l'on ne peut réellement percevoir Still et sa philosophie, qu'en s'impliquant personnellement. Cependant, rares sont ceux qui entreprendrons cette étude. Peut-être que les étudiants pensent qu'ils « savent » tout ce qu'il y a à savoir. De plus, pourquoi la jeune génération qui « sait », irait s'intéresser à un dinosaure, qui de plus, nous parle sans cesse d'un Dieu hypothétique, n'intéressant que très peu de monde ?
Voilà un des aspects encombrants de Still. Dieu, Divin, Univers, Nature toute puissante, sont des termes auxquels il faudra savoir s'habituer pour entreprendre l'étude de son œuvre, qui n'est pas forcement évidente. Notre ostéopathie dite « scientifique » n'a que faire de telles impostures. Aujourd'hui, science et spiritualité sont en opposition absolue, et c'est notre désir de reconnaissance scientifique qui nous pousse à ignorer Still et à le placer au rang de fondateur, dans la forme tout en en rejetant le fond.
C'est donc un éloignement de l'ostéopathie par rapport à ses racines qui serait en train de se produire. Est-ce à tort ou à raison ? Qu'est-ce qu'Andrew Still pourrait-il bien encore nous apporter à l'heure actuelle ? A la vue de tous ces éléments une question raisonne dans notre esprit : « L'étude de l'œuvre stillienne est-elle une nécessité ? »
Personne n'est obligé de croire, ni Pierre Tricot, ni ce que nous avançons. C'est pour cela que nous avons créé un questionnaire très rapide et précis visant à savoir qui s'intéresse ou non à Still. Ce questionnaire a été distribué aux étudiants (de toutes promotions) du Collège Ostéopathique de Provence et mis à la disposition des ostéopathes membres du ROF (ayant une adresse e-mail) et du SFDO (sur le forum internet).
Pour ce qui est des étudiants nous avons récolté 245 participations, ce qui permet de nous faire bonne idée de l'ampleur des dégâts, tandis que nous n'avons reçu que 64 réponses d'ostéopathes professionnels. Nous avons tout de même décidé d'utiliser ces réponses car elles nous montrent une évolution nette de l'intérêt que la profession porte à Still.
Relevons également le fait que, concernant les étudiants, les résultats ne correspondent qu'à un seul collège français. Nous sommes donc en droit de nous demander si les tendances observées sont propres aux étudiants ostéopathes français ou aux étudiants du COP.
Les questions posées
Comme nous venons de le dire, pour avoir un maximum de réponses, nous avons fait en sorte que le questionnaire soit simple et rapide à remplir. Pour commencer nous demandons à la personne sondée si elle est étudiante ou ostéopathe, puis son niveau d'étude ou l'année d'obtention du diplôme, en fonction de la réponse précédente.
Une fois cela rempli, il ne reste plus qu'à cette personne de cocher parmi les quatre livres de Still, le ou lesquels elle a déjà entièrement lus. Pour finir, dire si cette lecture lui a été utile ou non sur l'aspect pratique.
En conclusion, commençons par rappeler que les résultats obtenus auprès des étudiants ostéopathes concernent une population appartenant à un même collège d'enseignement.
Bien que le Collège Ostéopathique de Provence soit largement reconnu pour sa qualité d'enseignement, le lecteur est en droit de se demander si les observations faites sont propres à l'établissement ou sont une tendance nationale. Pour essayer de palier ce problème nous avons abordé d'autres collèges, mais aucun d'entre eux n'a répondu à notre demande.
L'étude de ces résultats permet d'envisager une première hypothèse. Celle-ci étant qu'avec le temps les étudiants et surtout les ostéopathes vont voir grandir leur intérêt pour notre fondateur. La majorité d'entre eux, lui accordant un impact sur leur vision ostéopathique et donc leur pratique.
Malgré tout, encore trop peu d'étudiants ne perçoivent pas l'importance de leurs racines, et les mettent tout simplement de côté, soit par manque de motivation, déni ou tout simplement par oubli.
Encore une fois, en ce qui concerne les ostéopathes, beaucoup d'entre-nous négligeons notre histoire et notre philosophie. Bien qu'avec le temps cette tendance diminue, il en reste tout de même certains, et de très expérimentés, qui ne se sont jamais partis à la recherche de leur ainé. Le sondage permet de voir que la quasi-totalité de ceux qui ont poussé l'étude ont trouvé en Still une source bénéfique pour leur pratique, et cette source étant accessible à tous, il serait dommage de ne pas nous y abreuver afin d'en ressortir meilleur, tant sur le plan humain que pratique.
Mais devant tous ces chiffres, une question reste en suspens. Nous avons analysé les résultats de façon optimiste, c'est-à-dire que nous sommes allés dans le sens où, plus un ostéopathe avance sur son chemin, plus il aura le besoin de retourner à la source. Mais deux éléments importants sont à relever : la motivation et le contexte.
En effet, devenir ostéopathe de nos jours ou il y a 10 ans et à fortiori il y a 20 voir 30 ans n'avait pas du tout la même signification. L'engagement était loin d'être le même, les difficultés rencontrées incomparables. La philosophie et les valeurs ostéopathiques, les convictions de ces femmes et de ces hommes étaient tout comme pour notre fondateur des facteurs de persévérance. Ils se raccrochaient à leurs racines plus volontiers que la jeune génération, et à ce titre nous pouvons nous demander si ces jeunes qui n'ont toujours pas lu Still s'y intéresseront un jour ?
Une autre question se pose : Qu'est ce qui à poussé les étudiants et ostéopathes à la lecture ? Un sentiment de curiosité, de nécessité, une passion naissante, etc. ? Cette question sera largement traitée dans la partie VI, Un retour aux sources.
Avant d'exposer à la lumière les arguments qui pourront nous pousser à lire les œuvres fondatrices, nous devons impérativement renouer avec Still, son contexte, son histoire et ses enseignements. Condition sine qua non, pour espérer comprendre l'utilité d'une telle tâche.
Résumé
Alors que l'ostéopathie n'est âgée que de 137 ans, on observerait une tendance de ses praticiens et notamment de la jeune génération à s'éloigner progressivement de leurs racines et plus précisément du maître fondateur, Andrew Taylor Still. Mais à l'heure actuelle où la recherche et les études scientifiques sont mises au devant de la scène au sein même de notre discipline, l'étude de l'œuvre stillienne datant d'une autre époque, reste-t-elle une nécessité pour celui ou celle qui désire être ostéopathe ? Afin de répondre à cette question, il sera en premier lieu indispensable de replacer Still et l'ostéopathie dans leur contexte, c'est-à-dire aux Etats Unis du XIXe siècle. Connaître comment s'est développée cette philosophie, cet art et cette science, quelles furent les influences d'Andrew Still, est tout aussi primordiale. C'est ensuite avec minutie et patience qu'il faudra lire et relire les enseignements du vieux docteur afin d'en apercevoir la richesse. Une fois cela fait, il nous paraitra évident que malgré les découvertes scientifiques les plus récentes, malgré la distance qui nous sépare d'une époque et d'un lieu tel que le Wild West américain, les enseignements stilliens sont toujours d'actualité et d'une importance capitale. C'est avant tout une philosophie que le vieux docteur s'efforça de nous transmettre, celle de la loi de l'Esprit, de la matière et du mouvement. Inspirons nous de cet héritage, véritable source de l'ostéopathie.
Summary
While osteopathy is more than 137 years old, we observe a tendency of its practitioners - especially the younger generation - to move progressively away from its roots and more specifically from the master founder, Andrew Taylor Still. But at present time, when research and scientific studies are the focus of our discipline, does the study of the Still's work dating from another time, remain a necessity for anyone that wants to be an osteopath ? To answer that question, it will be necessary to put Still and the osteopathy back in their context, that is to say the United States of the nineteenth century. Knowing the development of this philosophy, this art and science, what were the influences of Andrew Still, this can be an equally important question. Then, it will be with meticulousness and patience that we will have to read and reread the lessons of the old doctor in order to extract its wealth. Once done, it will seem obvious that despite the most recent scientific discoveries, despite the distance that separates us from a time and a place like the Wild West of America, Still's lessons are still topical and important. It is above all a philosophy that the old doctor tried to give us, the law of the Spirit, the matter and the motion. Let us take inspiration from this legacy, the real source of osteopathy.
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1. Still, A.T. (1902/2009). Philosophie et principes mécaniques de l'ostéopathie. Vannes : Sully. (titre original : The Philosophy and Mechanical Principles of Osteopathy). 22p. (Traduit par P. Tricot).
2. Ibid. 22p.