Qu’est-ce qu’une maison ?
À défaut de différences positives entre les créatures, il est impossible de véritablement définir quoi que ce soit.
Une grange est une maison, à condition qu’elle soit habitée. Si l’occupation plutôt que l’architecture donne à la maison son statut, alors un nid d’oiseau est une maison. La présence humaine n’est pas davantage le grand critère puisque nous construisons des maisons pour chien ; pas plus que le matériau, puisqu’un igloo est une maison esquimaude. Un coquillage est la maison du bernard-l’ermite, et l’a été pour le mollusque qui l’a fabriquée. Autrement dit, deux choses aussi distinctes que la Maison Blanche et un coquillage sont contiguës.
Personne n’a encore réussi à dire ce qu’est l’électricité, par exemple. Ce n’est rien de vraiment distinct de la chaleur ou du magnétisme ou de la vie. Métaphysiciens, théologiens et biologistes ont tenté de définir la vie. Ils ont échoué, car sur le plan de la différence positive, il n’y a rien à définir ; aucun phénomène vivant n’est entièrement étranger à la constitution chimique, au magnétisme ou aux phénomènes astronomiques.
Des îles de corail blanc dans une mer indigo.
Leur distinction, leur individualité, leur différence ne sont qu’apparence puisque ces îles sont des projections d’un même fond marin. La différence entre terre et océan n’est pas positive. Dans l’eau se trouve de la terre ; et dans la terre de l’eau.
Or donc, les créatures visibles ne sont pas des choses à proprement parler, mais plutôt la continuité les unes des autres, comme un pied de table n’est pas autonome, mais plutôt la projection d’un autre objet. Aucun de nous n’est une personne réelle, car physiquement nous sommes en contiguïté avec notre environnement, et psychiquement, nous sommes l’expression de notre rapport avec l’environnement.
Je considère les choses sous deux aspects :
Dans une perception moniste d’un monde issu d’une entité unique, je pense que toute créature d’apparente individualité reste un fragment, une île sans contours propres, une projection d’un continent plus vaste.
En même temps, je crois que toute créature, bien que partielle projection, tente de s’affranchir de ses relations avec cet ensemble.
J’imagine un réseau aux enchevêtrements infinis, dans lequel et par lequel toute créature apparente est une manifestation particulière, la localisation d’une tentative commune de rompre les liens et de devenir entité, de posséder une différence nette et une démarcation définitive, une indépendance – ce que l’on appellerait une personnalité ou une âme chez l’humain.
Je suis d’avis que tout ce qui tente d’établir son individualité, sa différence en tant que système, gouvernement, organisation, autonomie ou âme, ne peut y parvenir qu’en s’enfermant dans des bornes, en finissant par damner ou exclure, bref en coupant les liens avec les autres créatures.
Sans quoi, une créature ne peut se manifester.