Une pseudo-existence
Notre présence est une pseudoexistence, et toutes ses manifestations contribuent à l’illusion. Mais avouons que certaines manifestations s’approchent davantage de l’absolu positif que d’autres.
Je suis d’avis que les créatures se situent quelque part dans une gradation entre le Rien et le Tout, entre l’absolu négatif et l’absolu positif ; que certaines créatures semblent plus réussies que d’autres sur le plan de la cohérence, de la justice, de la beauté, de l’unité, de l’individualité, de l’harmonie et de la stabilité.
Je ne suis ni un réaliste ni un idéaliste. Je suis un intermédiariste. Je crois que rien n’est réel ni irréel non plus. Tous les phénomènes s’approchent à divers degrés des murs du Rien et du Tout.
De sorte que notre quasi-existence est un état intermédiaire entre le positif et le négatif, le réel et le néant.
Un purgatoire, en quelque sorte.
Dans cette vision réduite et sommairement brossée, j’ai omis de clarifier cette notion : le réel est un visage de l’absolu positif.
Par réel, j’entends ce qui ne fusionne pas avec autre chose, ce qui n’est pas fraction d’autre chose, une réaction ou une imitation. Par vrai héros, j’écarte celui qui serait à demi lâche, chez qui les actes et les motifs rejoindraient la couardise. Alors que dans la contiguïté toutes les créatures fusionnent, le réel est selon moi l’universel, ce qui englobe tout.
Bien que le particulier puisse se reconnaître dans l’universel, il est inconcevable de trouver l’universel à l’échelle locale. Certes, des créatures s’en approchent, et ces approximations fructueuses pourraient expliquer leur voyage de l’intermédiarité vers le réel, un peu comme - à titre de comparaison – le secteur industriel travaille à sortir du néant des inventions en apparence plus réelles lorsque fabriquées.
Le progrès, à supposer qu’il tend vers la stabilité, l’organisation, l’harmonie, la cohérence et la positivité, constitue selon moi une tentative de se réaliser.
En termes métaphysiques généraux, je pense que ce qui est communément appelé « existence » et que j’appelle plutôt intermédiarité est une quasi-existence ni réelle ni irréelle, un désir de pénétrer l’existence réelle, de la fabriquer ou de s’y intégrer.
Une propension commune de figer le particulier anime le monde de l’intermédiarité. La science n’y échappe pas lorsqu’elle scrute des ossements, des insectes et des bouillies de catastrophes. Si la science pouvait carrément exclure les données dissidentes pour ne conserver que l’admissible en vertu de sa quasi- organisation actuelle, elle constituerait un système aux limites nettement définies. Elle deviendrait réelle.
Son apparence de cohérence, de stabilité, de système – illusion de réel ou de positif – tient à ce qu’elle a condamné l’irréconciliable et l’inadmissible.
Tout aurait été pour le mieux.
Tout aurait été béni.
Si seulement les damnés étaient restés muets.
Charles Hoy Fort (1874-1932)
Le livre des damnés
2006 Joey Cornu Editeur
Rosemère (Québec)
ISBN: 978-2-922976-09-0