Cet ouvrage est la première biographie moderne du fondateur de l’ostéopathie, Andrew Taylor Still (1828-1917). Carol Trowbridge n'est pas ostéopathe. Elle fut un temps cadre administratif au collège de Kirksville. Elle s'est passionnée pour l'histoire de Still et par la manière dont il a procédé pour développer l'ostéopathie. Elle suit ici une démarche d'historien, réunissant une documentation exceptionnelle, suivant Still à la trace dans tous les lieux où il a séjourné, pour nous faire revivre le cheminement de cet homme hors du commun qui a donné naissance à un nouveau concept thérapeutique.

Elle nous fait découvrir la rude vie des pionniers de l’Ouest américain à l’époque de la jeunesse de Still et comment ce jeune docteur, insatisfait de la médecine de son temps, a évolué au cours de ses rencontres et de ses multiples expériences.

Au fil des pages, nous découvrons comment ce qui aurait pu n’être qu’un simple système de reboutement, efficace mais éphémère, est devenu une cohérence thérapeutique, un autre regard sur la vie, la santé et la maladie : l’ostéopathie.

Carol Trowbridge nous montre que Still ne dissociait pas les aspects scientifique, philosophique et spirituel de la vie, mais au contraire les intégrait totalement.

Elle nous permet de saisir en quoi le concept ostéopathique demeure aujourd’hui encore révolutionnaire, mais également qu’il est appelé à servir de fondement essentiel à la médecine de demain.

La lecture de ce livre est indispensable à toute personne qui veut comprendre comment est née l’ostéopathie et tout ce qu’elle rassemble sur le plan philosophique, spirituel et scientifique.


Préface de l'ouvrage
Lorsqu’en 1976 notre famille déménagea pour Kirksville dans le Missouri, berceau de la médecine ostéopathique, je ne connaissais rien d’Andrew Taylor Still et de sa philosophie, ni de la profession ostéopathique. J’avais autrefois connu plusieurs D.O.s et j’avais été impressionnée par leur désir d’embrasser une profession dont la crédibilité dans les cercles médicaux était, jusqu’à il y a peu, contestée. Par mon commerce avec la médecine ostéopathique, la connaissance que je fis de nombreux D.O.s praticiens convaincus, et par mon travail au Still National Osteopathic Museum, je suis devenue de plus en plus perplexe sur le statut douteux de l’ostéopathie, alors que sa philosophie semble si raisonnable. En essayant de comprendre l’ostéopathie, je fus fascinée par la vie de son fondateur, de sa famille, par sa philosophie et ses origines et par l’Amérique du dix neuvième siècle en général.
A dix heures du matin, le 22 juin 1874, un médecin américain, Andrew Taylor Still expérimenta une révélation qui changea sa vie et dont il pensa qu’elle pouvait révolutionner la médecine du dix neuvième siècle. Dix années auparavant, Still avait perdu trois de ses enfants de méningite cérébro-spinale et avec eux toute la confiance et l’espoir en la thérapeutique médicale de son époque. Émotionnellement travaillé par le chagrin et intellectuellement dégoûté par la médecine traditionnelle, Still s’acharna à trouver la cause et le traitement de la maladie. Il n’était pas le seul à nourrir cet espoir.

C’était l’époque de l’incertitude médicale. Des années 1850 aux années 1880, le fondement de ce qu’on appelait la médecine héroïque s’effritait. Les drogues et techniques traditionnelles utilisées par les médecins depuis les années 1770 étaient mises en question : trop de saignées, de purges avec des doses massives de calomel ou de protochlorure de mercure. Plutôt que de continuer avec la saignée et la purge, beaucoup de médecins en étaient venus à administrer des drogues entraînant la dépendance : opium, cocaïne et alcool. La plus sûre des thérapeutiques à cette époque était sans doute de ne rien faire. La profession étant ballottée sur une mer de nihilisme thérapeutique, un nombre sans cesse croissant de médecins conseillait vivement un retour à des thérapeutiques anciennes faisant confiance aux pouvoirs de la nature. Beaucoup cherchaient une recette pour apporter de l’ordre dans ce chaos médical et établir une fois pour toute la médecine comme une discipline scientifique. Le système de Still, se fondant fermement sur les principes de la grande théorie scientifique de l’époque – l’évolution –, lui vint lors de cet éclair d’inspiration de juin.


Des années de réflexion, d’étude et d’expérimentation suivirent avant que Still n’ouvre l’École Américaine d’Ostéopathie à l’automne 1892 à Kirksville, dans le Missouri, une petite ville obscure très éloignée des centres médicaux traditionnels. Mais la distance par rapport à la médecine traditionnelle était justement ce qui convenait à Still. Ses diplômés, tout d’abord, appelés diplômés en ostéopathie, puis docteurs en ostéopathie (D.O.s) allaient devenir l’avant-garde d’une révolution sans drogue dans la philosophie et la thérapie médicales. En tant qu’avant-garde de cette révolution, et comme d’autres pionniers de la médecine qui rencontrèrent une opposition implacable, ils luttèrent pendant près d’un siècle contre des obstacles absolument incroyables.
Fondée sur des principes biologiques et intimement reliée à la structure de l’organisme humain, la philosophie ostéopathique de Still est holistique et naturaliste et met davantage l’accent sur la santé que sur la maladie. Il croit en la perfection du corps. De cette croyance ont découlé quatre principes englobant et mutuellement reliés : [1] le corps fonctionne comme une entité biologique, [2] le corps possède des mécanismes d’auto guérison et d’auto régulation, [3] la structure et la fonction sont mutuellement reliées et [4] une pression anormale dans une partie du corps produit des pressions et des contraintes anormales dans d’autres parties du corps. Délaissant les drogues, Still utilisa une thérapeutique manipulative destinée à libérer les pouvoirs guérisseurs de la nature. Cette révolution sans drogue fut effectivement réduite au silence sur le front politique et la contribution de l’ostéopathie à la médecine américaine a été virtuellement ignorée de sorte que ni Andrew Taylor Still, ni l’ostéopathie ne se sont vus accorder leur juste place dans les annales de la tradition médicale américaine.

Aujourd’hui, grâce à seize collèges – la plupart soutenus par l’État –, la profession ostéopathique prospère. Actuellement, à peu près trente mille médecins et chirurgiens américains exercent de plein droit la médecine dans tous les états et territoires et répondent aux mêmes critères d’examen que les M.D.s, mais ce statut a été atteint relativement récemment. L’histoire de la profession qui lutte pour être reconnue tout en défendant sa spécificité, est dramatique. Alors que le vingtième siècle touche à sa fin, quelques observateurs (remettant en question le désir des D.O.s de demeurer indépendants), croient que la profession vit une sérieuse crise d’identité. Pour des buts tout à fait louables, ils sont devenus des docteurs en médecine.

La thérapeutique manipulative, pourtant partie indispensable de la pratique de l’ostéopathe, a été largement abandonnée. Courbant le dos pour résister aux pressions politiques et socio-économiques les poussant à se conformer, et philosophiquement bombardés par les nouvelles découvertes sur les « drogues miracles » journellement annoncées, les D.O.s ont depuis longtemps abandonné leur spécificité. Mon effort initial pour faire concorder l’histoire d’Andrew Taylor Still avec celle de la profession ostéopathique fut comme mélanger l’huile et l’eau, car les récents succès des D.O.s peuvent être attribués à leur acceptation de pratiques que leur fondateur haïssait : drogues et conformation aux programmes médicaux.


Depuis le début, le combat pour être reconnus comme de « vrais » docteurs a dominé la profession, rejetant dans l’ombre l’histoire de son fondateur et l’origine de sa philosophie. La plupart des références à Still au sein de la profession mettent en avant son excentricité, le considèrent comme un homme en recherche de quelque joyaux de vérité, mais certainement un radical. En dehors de la profession, son image est encore plus mauvaise. Une récente critique de l’histoire médicale caractérisait ses idées comme « folles ». D’autres, plus gentiment, le virent comme un charlatan excentrique, isolé du courant de la pensée médicale essentielle. Le plus souvent, Still est ignoré.

Entre 1874 et 1892, rejeté par sa famille et les autres, Still arpenta la campagne du nord-est du Missouri, donnant des conférences sur sa nouvelle science à quiconque voulait bien l’écouter. Tout habillé de noir, les jambes de son pantalon dépassant de grandes bottes de manière négligée, Still était bien entendu l’image même de l’excentrique. Plus tard, sa réticence entêtée à inclure la médecine traditionnelle dans le programme de son école aggrava cette image tenace. Un manque de recul historique fait apparaître Still comme étrange, ce qui est injuste envers cet homme perspicace dont les idées étaient au moins un produit de leur temps et, dans leur application pratique, en avance sur leur temps. Évidemment, Still fut sur l’arête vive de la pensée scientifique et de la philosophie du dix neuvième siècle. L’approche sans drogue fut radicale (et certains supposent qu’elle devrait toujours l’être), mais, dans le contexte de la médecine du dix neuvième siècle, Still le « cinglé » apparaît comme ayant été l’un des médecins les plus terriblement sains d’esprit. Même aujourd’hui, alors que la recherche sur les médicaments est financée à coup de millions de dollars, le futur de la médecine pourrait reposer dans le domaine même que Still privilégiait, le système immunitaire du corps.
Une déclaration faite par Ronald G. Walters dans The Anti-Slavery Appeal 1 encourage les futurs historiens à rechercher chez les américains ce qui fit d’eux des réformateurs plutôt que des excentriques. Cette idée a sous-tendu ma recherche, me conduisant très au-delà de ce que j’avais l’intention de faire à l’origine, mais m’apportant une plus grande compréhension de Still et de l’ostéopathie.

L'histoire de cet homme et de son mouvement médical est pratiquement inconnue de la majorité des américains, bien que tous les deux soient typiquement américains. Still a vécu la grande Ruée vers l'ouest, la seconde révolution industrielle et l'éveil scientifique. Il participa à la guerre du Kansas frontalier libéral et en conséquence, participa à la guerre de Sécession. Plus important pour l'histoire de l'ostéopathie, il naquit fils d'Abram Still, un prêcheur méthodiste itinérant de la frontière, de telle sorte que la doctrine méthodiste du perfectionnisme imprégna sa philosophie, tout comme elle imprégna d'une manière ou d'une autre l'ensemble de la pensée et de l'activité américaine du dix-neuvième siècle.


Le perfectionnisme, popularisé par le fondateur anglais du méthodisme, John Wesley, signifiait un état de sainteté dans lequel on donnait son cœur et sa vie à Dieu. Wesley croyait que la perfection ultime n’était possible qu’après la mort, mais il enseigna que le salut n’étant pas prédestiné, le processus vers la perfection devait commencer dans cette vie. En déclarant simplement sa foi et en prenant la responsabilité de ses actes, un méthodiste pouvait, étape par étape, s’approcher de la perfection. Ce thème du méthodisme mettant l’accent sur l’amélioration de l’âme individuelle infiltra les institutions séculaires américaines du dix neuvième siècle. Quelques philosophes étendirent le concept de perfectionnisme à ce qu'ils percevaient comme l'étape logique ultérieure et demandèrent : si Dieu est parfait, comment toute chose par Lui créée, y compris le genre humain, pourrait-elle être imparfaite ? Telle fut la position de Still, mais c’était une attitude ignorant le besoin – et l’essence – de la doctrine perfectionniste de Wesley : le concept théologique du péché originel. A cause de cette déviance de l’évangélisme méthodiste de son enfance, Still, comme beaucoup d’autres de cette époque qui acceptèrent la théorie de l’évolution allait expérimenter de sérieux traumatismes émotionnels.

L'univers de Still ne fut plus jamais le même après qu'il se soit accordé à la pensée des transcendantalistes, des universalistes, des spiritualistes,5 des mesméristes6 et des phrénologistes, chacun d'eux étant le fer de lance de mouvements fondés sur un monde centré sur l'humain fonctionnant selon des lois naturelles. Leurs idées firent vibrer toute la pensée américaine du dix neuvième siècle et ouvrirent la voie à l'acceptation de la théorie de l'évolution. Bien que l'ostéopathie soit née à la frontière, Still a bénéficié du flux incessant d'idées du dix neuvième siècle, formulant sa science à partir de la phrénologie, du mesmérisme ou du magnétisme, du reboutement, du spiritualisme, du perfectionnisme, de la mécanique, et des concepts évolutionnistes. Comme la vie de Still peut être mieux comprise en le replaçant dans le monde de son temps, la première partie de ce livre est consacrée à l’environnement familial de Still. La seconde partie s’intéresse à l’histoire personnelle de Still, pour montrer aussi précisément que possible les choix qui se présentèrent à lui à cette époque.


Sommaire

Préface

Première partie : Voyage familial
— Chapitre 1 Fils du tonnerre
— Chapitre 2 Un désert furieux
— Chapitre 3 Mélodrame au Kansas

Seconde partie : Le voyage d’Andrew Taylor Still
— Chapitre 4 Un nouveau commencement
— Chapitre 5 Une nouvelle science
— Chapitre 6 Le Vieux Docteur

Appendice : L’album de la famille Still
Bibliographie sélective
Index