Perspectives évolutives du concept crânio-sacré appliquées à l'adulte
Jérémy THOMAS
ISOSTEO Lyon session de juin 2021 |
Directeur de mémoire : Lauris ALU
Résumé
La pratique de l’ostéopathie crânienne est actuellement un sujet très controversé. Nous nous sommes intéressés à ses origines et aux influences qu’a pu subir son fondateur, William Gamer Sutherland. Les avancées scientifiques du XXIe siècle et l’Evidence Based Medicine (EBM) fournissent plusieurs arguments allant à l’encontre des principes du Mécanisme Respiratoire Primaire (MRP), élément central de l’ostéopathie crânienne. Ces données nous ont permis de nous interroger sur la nécessité d’adopter un modèle crânien en ostéopathie. En creusant dans l’histoire de son élaboration, il s’avère que la majorité des composantes du MRP ont été décrites par Emanuel Swedenborg au XVIIIème siècle, que plusieurs notions vitalistes de l’ostéopathie crânienne sont retrouvées dans les écrits de Walter Russell et qu’à la même époque que Sutherland, Charlotte Weaver creusait déjà la question de l’ostéopathie appliquée à la région crânienne.
L’approche crânienne de l’ostéopathie telle qu’elle est enseignée dans les écoles de formation est si différente de celle du reste du corps qu’elle apparaît comme une « autre » ostéopathie. Proposer une pratique applicable au corps entier et appuyée par des arguments scientifiques permettrait à l’ostéopathie crânienne d’être plus opposable et cohérente.
Mots-clés : ostéopathie crânienne, MRP, histoire de l’ostéopathie, W. Sutherland, E. Swedenborg, W. Russell, C. Weaver
Abstract
The practice of cranial osteopathy is currently a very controversial subject. The main goal of this study is to explore the origins of cranial osteopathy and the extent of external influences on its founder, William Garnar Sutherland. The scientific progress of the 21st century and Evidence Based Medicine (EBM) provide several arguments against the principles of Primary Respiratory Mechanism (PRM), the central element of cranial osteopathy. This debate has led us to question the need to adopt a cranial model in osteopathy. Digging into the history of its development, it turns out that Emanuel Swedenborg described most of the components of PRM in the 18th century, that several vitalist notions of cranial osteopathy are found in the writings of Walter Russell, and that at the same time as Sutherland, Charlotte Weaver was already delving into the question of osteopathy applied to the cranial region.
The cranial approach to osteopathy as taught in training schools is so different from that of the rest of the body that it appears as “another” osteopathy. Proposing a practice applicable to the whole body and supported by scientific arguments would allow cranial osteopathy to be more opposable and coherent.
Keywords : cranial osteopathy, PRM, history of osteopathy, W. Sutherland, E. Swedenborg, W. Russell, C. Weaver
Introduction
Un peu plus d’un siècle nous sépare à présent de l’instant où l’intuition de William Gamer Sutherland lui permit de faire naître l’ostéopathie dans le champ crânien. En effet, c’est en 1899 que cette idée le frappa comme un éclair alors qu’il était encore étudiant à l’American School of Osteopathy (ASO) de Kirksville. C’est en observant les surfaces articulaires de l’os sphénoïde d’un crâne désarticulé exposé dans l’école, que cette pensée lui vint presque naturellement : ces surfaces étaient « biseautées, comme les ouïes du poisson, indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire ». Le courant de pensée de l’époque postulant que les os du crâne étaient immobiles, Sutherland laissa de côté son idée mais elle restera dans un coin de sa tête pendant plus de vingt ans.
Suivant les conseils d’A.T Still qui répétait inlassablement à ses étudiants : « L’ostéopathie c’est d’abord de l’anatomie, encore de l’anatomie, toujours de l’anatomie. » (1), Sutherland étudia minutieusement et pendant de nombreuses années tous les liens anatomiques du corps humain. Cependant, il ne pouvait sortir de sa tête cette idée de mécanisme respiratoire gouvernant une possible mobilité crânienne. Il décida alors de mettre de côté les traités anatomiques de l’époque stipulant qu’aucun mouvement n’existait au sein du crâne et il se mit à réaliser des expériences sur son propre crâne à l’aide de casques et de bandages. H pensait qu’en appliquant ses hypothèses et théories sur son crâne et non sur ceux de patients il obtiendrait la connaissance plutôt que de l’information.
Convaincu de ses expériences et de ses idées, il commença à informer la communauté ostéopathique de ses travaux et recherches, puis au cours des années 1930 et jusqu’à sa mort il transmit ses idées à quiconque voulait bien les entendre. C’est ainsi que naquit progressivement l’ostéopathie dans le champ crânien. Mais c’est en 1939, date de publication de The CranialBowl, que s’opéra le véritable tremplin qui fit basculer l’ostéopathie crânienne sur le devant de la scène. The Cranial Bowl regroupe l’intégralité des notions essentielles de l’ostéopathie dans le champ crânien mais c’est aussi l’unique livre écrit par Sutherland lui-même.
La définition de l’ostéopathie dans le champ crânien va de pair avec celle du mécanisme respiratoire primaire (MRP) inventé par Sutherland pour expliquer l’origine même du mouvement crânien et les actions thérapeutiques possibles. Ce
MRP possède des caractéristiques qui lui sont propres et des composantes précises qui le définissent. Sutherland a créé un véritable système de diagnostic et de traitement qui est aujourd’hui enseigné dans de nombreux établissements de formation en ostéopathie et qui est utilisé pour aider de nombreux patients. Les théories de Sutherland ont permis à l’ostéopathie moderne de progresser et de se développer, faisant émerger d’autres courants et pratiques de médecine manuelle ostéopathique. Cependant, l’avancée des recherches scientifiques du XXIe siècle est telle qu’il nous faut reconsidérer les idées de William Garner Sutherland. Un modèle théorique qui ne prend pas en compte les nouvelles données scientifiques ne peut évoluer et survivre par manque de cohérence. Aujourd’hui, l’efficacité et l’application de la médecine manuelle ostéopathique sont très controversées dans la littérature. De nombreux arguments anatomiques et physiologiques vont à l’encontre des principes même du concept crânien, sous-entendant que les fondements de l’ostéopathie dans le champ crânien doivent être revisités.
L’objectif de ce mémoire est de mettre en avant la nécessité de reconsidérer le concept crânien qui aujourd’hui ne possède aucune preuve scientifique de son efficacité. Sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve dévoilerait son plus haut potentiel tout en permettant à son application clinique d’être davantage considérée par un plus grand nombre de patients et de professionnels. L’ostéopathie dans le champ crânien a besoin aujourd’hui d’ébaucher de nouveaux modèles cohérents afin d’évaluer leur efficacité en clinique. Cela nécessite de nous détacher du concept crânien de Sutherland auquel nous sommes attachés de manière plus ou moins affective. Nous pouvons interroger la capacité de la communauté ostéopathique à remettre en cause les principes fondateurs de l’ostéopathie crânienne.
Comment justifier une telle remise en question de l’approche crânienne en ostéopathie ? Cette question sera le fil conducteur de notre étude. Pour cela, nous aborderons dans un premier temps les origines du concept crânien et les différentes théories susceptibles d’expliquer l’origine du MRP, puis nous nous intéresserons aux connexions historiques et aux personnalités qui ont probablement influencé William Garner Sutherland dans la formulation de sa théorie, et enfin nous présenterons quelques données scientifiques du XXIe siècle qui concernent le modèle crânien et le MRP.
Table des matières
Remerciements
Résumé
Abstract
Sommaire
Introduction
I. ORIGINES ET FONDEMENTS DU CONCEPT CRÂNIO-SACRÉ EN OSTÉOPATHIE
A. RAPPELS ANATOMO-PHYSIOLOGIQUES DU CRÂNE
1. Les os du crâne et leurs articulations
2. Les méninges
3. Le liquide céphalo-rachidien (LCR)
B. LE CONCEPT CRANIO-SACRÉ DE SUTHERLAND
1. Le mécanisme respiratoire primaire (MRP)
2. Le Souffle de Vie – puissance vitale
3. Le Fulcrum de Sutherland
4. La synchondrose sphéno-basilaire (SSB)
C. LES THÉORIES EXPLICATIVES DU MRP
1. Théorie vasculaire
2. Théorie tissulaire ou modèle biochimique de la micro-cinétique
3. Théories des fluctuations du LCR (théorie des pressions)
4. Théorie des cellules gliales
II. CONNEXIONS HISTORIQUES ET PERSONNALITÉS A YANT INFLUENCÉES W.G SUTHERLAND DANS L’ÉLABORATION DU CONCEPT CRANIO-SACRÉ
A. EMANUEL SWEDENBORG (1688-1772)
1. Brève biographie
2. Traductions des écrits de Swedenborg
3. Comparaisons d’éléments retrouvés dans The Brain
4. Ida Rolf (1896-1979)
5. Citations de Sutherland concernant Swedenborg
B. WALTER RUSSEL (1871-1963)
1. Brève biographie
2. La philosophie russellienne et l’ostéopathie
3. L’échange rythmique équilibré
4. Influence de la pensée de Russell sur le caractère biodynamique de l’ostéopathie de Sutherland
5. Les liens unissant les deux hommes
C. CHARLOTTE WEAVER (1884-1964)
1. Brève biographie
2. Une théorie crânienne différente
3. Une filiation avec Sutherland
III. UN ABORD SCIENTIFIQUE DE L’OSTÉOPATHIE CRÂNIENNE
A. Ordres de grandeurs des pressions (contraintes)
B. L’ossification des sutures
1. Ossification de la base du crâne
2. Ossification de la voûte
C. Le rôle primordial de l’action des muscles masticateurs sur les déformations du crâne
D. Les mouvements de l’encéphale (SNC)
E. Phénomènes générant la fluctuation du LCR
F. L’ostéopathie « décapitée »
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
GLOSSAIRE
ANNEXES