Questionnement systématique en ostéopathie
Marie MAUVIEL
Mémoire pour l'obtention du diplôme universitaire « Violences faites aux femmes » |
Sous la direction de : E. RONAI, É. DURAND, A. LUNEL
Année universitaire 2021-2022
Présentation
Introduction
L’ostéopathie occupe une place particulière dans le système de santé en France. Développée aux États-Unis à partir de 1874 par Andrew Taylor Still, cette médecine manuelle est arrivée dès les années 1960 sur le territoire français, grâce à des thérapeutes formés outre-Atlantique et au Royaume-Uni. Malgré l’accueil positif des premiers patients, la législation encadrant la formation et l’exercice du métier d’ostéopathe a mis du temps à se préciser, et c’est seulement en 20022 que l’ostéopathie est sortie du cadre de l’exercice illégal de la médecine. Elle est aujourd’hui la médecine complémentaire à laquelle la population française a le plus recours. En effet, 67% des Françaises consultent un e ostéopathe chaque année3.
Intro suite
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l’a définie en 2010 comme suit : « L’ostéopathie (...) repose sur l’utilisation du contact manuel pour le diagnostic et le traitement. Elle prend en compte les relations entre le corps, l’esprit, la raison, la santé et la maladie. Elle place l’accent sur l’intégrité structurelle et fonctionnelle du corps et la tendance intrinsèque de l’organisme à s’auto-guérir. Les ostéopathes utilisent une grande variété de techniques thérapeutiques manuelles pour améliorer les fonctions physiologiques et/ou soutenir l’homéostasie altérée par des dysfonctions somatiques4 ». Une dysfonction dite « ostéopathique » peut concerner tous les éléments du système somatique : squelettique, articulaire, myofascial, viscéral et crânien, sans oublier le système vasculo-nerveux. Elle est caractérisée par une altération de la fonction d’un ou plusieurs de ces éléments, et sa recherche va se faire par le toucher, afin de repérer les zones corporelles qui présenteraient une mobilité, une texture, une sensibilité ou une asymétrie dite « a-physiologique » (qui sort de la physiologie normale, attendue). Une fois ces zones repérées, l’ostéopathe aura donc pour but d’en rétablir la fonction, au moyen de techniques manuelles diverses.
Cette homéostasie citée plus haut, et définie par le Larousse comme un « processus de régulation par lequel l’organisme maintient les différentes constantes du milieu intérieur entre les limites des valeurs normales » est systématiquement impactée négativement lorsqu’une personne se trouve confrontée à la violence. C’est ce que nous montre le travail de recherche mené sur le psycho-trauma et le syndrome de stress post-traumatique depuis plusieurs années par des médecins et des scientifiques à travers le monde. Dans son livre sur le traumatisme, le psychiatre américain Bessel Van Der Kolk résume ainsi : «(...) les expériences traumatiques laissent bel et bien des traces. Elles marquent aussi les émotions et les esprits, l’aptitude à l’amour et à la joie, et même l’organisme et le système immunitaire5 6 7 ».
En France, Dre Muriel Salmona nous confirme avec force détails, grâce à ses travaux et ses écrits6 7, l’étendue des conséquences, tant psychologiques que physiologiques, des violences chez les victimes, entraînant inévitablement des répercussions dramatiques sur leur santé. Les violences subies se traduisent ainsi par de nombreux symptômes, extrêmement variés et pouvant toucher toutes les sphères de l’organisme ou presque : psychologique, pelvienne, sexuelle, urinaire, dentaire, musculo-squelettique8...
Tous ces symptômes d’ordre fonctionnel, que nous détaillerons dans ce mémoire, peuvent faire non seulement l’objet de motifs de consultation entendus quotidiennement dans les cabinets d’ostéopathie, mais aussi celui de parcours médicaux longs et chaotiques, car trop peu souvent corrélés au passé marqué par les violences de ces patientes9.
L’ostéopathie est dite « médecine de première intention », suggérant ainsi que les patient-e-s consultent volontiers leur ostéopathe avant d’entreprendre un parcours de santé plus traditionnel, lorsque le motif de consultation s’y prête. Or, d’après l’Enquête Nationale sur les violences envers les femmes en France10 (ENVEFF) réalisée en 2000, on sait que 1 femme sur 10 est victime de violences dans son couple. Et les chiffres du dernier rapport de l’OMS sur la violence dans le monde11 datant de 2014 nous rappellent que c’est 1 femme sur 5 qui déclare avoir été violentée sexuellement pendant son enfance (l’enquête de l’ENVEFF de 2000 parle de 9,7% des femmes en France : la réalité sur notre territoire est vraisemblablement située entre les deux). On peut donc affirmer que la probabilité qu’une patiente qui se présente dans un cabinet d’ostéopathie ait été et/ou soit victime de violences est au moins de 1 sur 10. Si l’on suppose arbitrairement recevoir 25 patients par semaine, dont 50% de femmes, cela représente 1 à 2 patientes par semaine. Par ailleurs, l’enquête de victimation annuelle « Cadre de vie et sécurité » signalait que « le premier professionnel à qui s’adresse la femme victime de violences est le professionnel de santé12 ». Ainsi, le rôle des ostéopathes dans la recherche et le repérage de violences faites à leurs patientes semble tout indiqué. C’est en tout cas ce que préconise la Haute Autorité de Santé (HAS) dans ses recommandations pour le repérage des femmes victimes de violences au sein du couple13 : « Repérer systématiquement, même en l’absence de signe d’alerte ». Elle précise par ailleurs que « tous les professionnels de santé14 sont concernés dans leur pratique15 ».
Malheureusement, comme nombre de formations initiales de santé, les études d’ostéopathie n’abordent peu ou pas le sujet des violences, et a fortiori des violences faites aux femmes, et ce, malgré la dernière réforme de l’enseignement de cette discipline en 201516, qui intègre notamment une approche bio-psycho-sociale du patient, et une mise en valeur de la relation patient-praticien. Un questionnaire17 envoyé à vingt-cinq ostéopathes déjà installé-e-s en cabinet m’a permis de dresser un premier état des lieux sur le questionnement de la violence en ostéopathie. Le constat est sans équivoque : les praticien-ne-s interrogé-e s n’ont dans l’ensemble reçu aucune (in)formation sur la violence pendant leur parcours de formation, ni sur les mécanismes physiologiques et psychologiques qui en découlent, ni sur l’impact sur la santé de leurs patientes. Ils-elles, de fait, posent très rarement la question de la violence, ou alors seulement face à des symptômes « attendus », comme des hématomes suspects. Et quand ils-elles la posent, la plupart se sent mal à l’aise, voire illégitime, à le faire. La raison évoquée est toujours le manque de connaissances sur le sujet et sur la bonne conduite à tenir en cas de violences déclarées. En revanche, il ressort à l’unanimité des réponses apportées au questionnaire, que tou- te- s trouveraient utile et souhaiteraient recevoir une formation sur le sujet. L’unanimité sur ce point m’interpelle.
Ainsi, malgré une réalité de terrain encore trop frileuse sur le sujet, l’ostéopathe a, j’en suis sûre, sa place dans le repérage des patientes victimes de violences, mais aussi dans leur prise en charge thérapeutique. Non seulement l’HAS le recommande, mais de plus, l’ostéopathe bénéficie dans l’exercice de son métier de deux avantages non négligeables pour la mise en place de ce questionnement systématique.
Premièrement, une consultation d’ostéopathie dure en moyenne quarante-cinq minutes. Ce temps est suffisamment long pour permettre à l’ostéopathe et à sa patiente de trouver le bon tempo pour aborder le sujet.
Deuxièmement, la consultation d’ostéopathie se découpe en plusieurs temps, chaque temps pouvant être propice au dialogue sur ce thème difficile et particulier. En premier lieu, la phase d’anamnèse, temps initial de la consultation, est nécessaire à l’élaboration du dossier du patient ou de la patiente ; elle vise à détailler son parcours personnel, professionnel, familial, médical, ses antécédents, son mode de vie, son alimentation, ses loisirs... La question de la violence pourrait être posée à ce moment-là, comme une suite logique dans l’interrogatoire, en précisant qu’elle est «abordée avec toutes les patientes étant donnée la fréquence du risque18 ». Dans un second temps se déroule la phase de tests, lorsque l’ostéopathe examine sa patiente, et effectue des tests cliniques sur les différentes structures corporelles, dans le but d’établir un diagnostic ostéopathique et un plan de traitement. Nous l’avons vu plus haut, les violences laissent des traces sous forme de symptômes physiques, pouvant être relevés comme des dysfonctions ostéopathiques par le praticien et l’amenant ainsi à questionner sa patiente sur l’existence de violences dans son histoire de vie.
Il semble donc pertinent de poser la question suivante : comment faire d’une consultation d’ostéopathie une possibilité de repérage des violences faites aux femmes, lors de l’anamnèse et lors de l’examen clinique des symptômes liés à ces violences ?
Nous verrons dans la première partie de ce mémoire comment introduire la question de la violence dans l’anamnèse en ostéopathie, et comment mettre à profit la spécificité de l’interrogatoire ostéopathique pour aborder ce thème, notamment en détaillant la posture de l’ostéopathe et les pratiques professionnelles protectrices.
Dans la seconde partie, nous aborderons la question de la violence d’un point de vue clinique. Les symptômes associés aux différents types de violence seront étudiés et analysés. Nous mettrons en perspective les plaintes des patientes et les constats des professionnel-le-s.
Une revue de littérature sera également réalisée, afin de recenser ces symptômes de la manière la plus exhaustive possible. Elle nous servira également à mieux comprendre le lien entre la violence et les manifestations corporelles qui en découlent. Nous aborderons enfin l’aspect conseils et réorientation de la patiente, pour nous inscrire le mieux possible dans une démarche pluridisciplinaire. Quels qu’ils soient, ces symptômes doivent être entendus et repérés. Cela sera nécessaire pour affiner nos perceptions ostéopathiques et nos propositions de prise en charge thérapeutique.
2 Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
3 Étude ASTERES de juin 2019 « Étude d’impact économique, Registre des Ostéopathes de France », https://asteres.ir/site/wp-content/uploads/2019/06/ASTERES-Etude-dimpact-Registre-des-Ost%C3%A9opathes- de-France-juin-19.pdf, consultée le 21 octobre 2021 ;
4 Site du Syndicat Français des Ostéopathes, https://www.osteopathe-syndicat.fr/osteopathie-definition-oms, consulté le 2 novembre 2021.
5 B. Van Der Kolk, Le corps n ’oublie rien, Paris, Albin Michel, 2018, pages 11-12 ;
6 M. Salmona, https://www.memoiretraumatique.org/, consulté le 4 janvier 2022 ;
7 M. Salmona, Le livre noir des violences sexuelles, 2e édition, Paris, Dunod, 2019 ;
8 Haute Autorité de Santé, Recommandation de bonne pratique - Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple : « Comment repérer - évaluer », juin 2019, mise à jour le 11 décembre 2020 ;
9 Sondage face à l’inceste - IPSOS, 2010, https://facealinceste.fr/blog/dossiers/sondage-face-a-l-inceste-ipsos- 2010, consulté le 29 janvier 2022 ;
10 Enquête Nationale sur les violences envers les femmes en France, http://www.egalite-femmes- hommes.gouv.fr, format PDF édité en 2000, consulté le 6 janvier 2022 ;
11 Rapport mondial sur la violence et la santé, http://www.who.int, consulté le 6 janvier 2022.
12 Enquête « Cadre de vie et sécurité », 2010-2012, site http://mobile.interieur.gouv.fr ;
13 Haute Autorité de Santé, Recommandation de bonne pratique - Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple : « Comment repérer - évaluer », juin 2019, mise à jour le 11 décembre 2020 ;
14 II est à noter que l’ostéopathe n’est pas considéré e à proprement parler comme « un e professionnel-le de santé» selon le Code de la Santé Publique. Mais depuis le 20 juillet 2016, et l’article Lll 10-4, il-elle est reconnu e comme « professionnel le susceptible d’échanger ou de partager des informations relatives à la même personne prise en charge », tout comme les professionnel-le-s de santé mentionné-e-s à la quatrième partie du dit Code. L’ostéopathe est donc reconnu e comme faisant partie du parcours de soin ;
15 Haute Autorité de Santé, Recommandation de bonne pratique - Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple : « Comment repérer - évaluer », juin 2019, mise à jour le 11 décembre 2020 ;
16 Décret n°2014-1043 du 12 septembre 2014 relatif à l’agrément des établissements de formation en ostéopathie ;
17 Annexe n°l : Questionnaire aux professionnel-le-s.
18 Haute Autorité de Santé, Recommandation de bonne pratique - Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple : « Comment repérer - évaluer ».juin 2019, mise à jour le 11 décembre 2020.
Table des matières
Table des matières
REMERCIEMENTS
LISTE DES ABRÉVIATIONS
GLOSSAIRE
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE I – L’ANAMNÈSE EN OSTÉOPATHIE : QUESTIONNER LA VIOLENCE....
Chapitre 1 - La patiente Alpha
A - Comment j’ai remis en cause ce que je croyais savoir
B - Une consultation confrontante
Chapitre 2 - Comment instaurer le questionnement systématique en cabinet d’ostéopathie ?
A - Le psycho-trauma : une notion fondamentale pour penser autrement
B - Sécuriser nos patientes : les pratiques professionnelles protectrices
B.l - La salle d’attente
B.2 - Rompre avec la stratégie de l’agresseur
B.3 - Que faire en cas de violences avérées ?
B.4 - La période périnatale, un catalyseur de la violence
B.5 - L’enfant, co-victime du violent conjugal
PARTIE II - LA SYMPTOMATOLOGIE DE LA VIOLENCE
Chapitre 1 - La violence, un facteur de risque pour la santé
A - S’emparer des connaissances actuelles
B - Ce que les professionnel le s m’ont appris
B.l - Attitude de la patiente sous emprise
B.2 - Le syndrome pelvien douloureux chronique
B.3 - Le phénomène de sensibilisation centrale
B.4 - Le lien entre corps et psyché
B.5 - Donner du sens au ressenti
B.6 - Les stratégies de survie des victimes
Chapitre 2 - Violences et symptômes, quand le corps devient l’expression du trauma
A - La nécessité d’effectuer une revue de littérature
B - Ma proposition pour un tableau clinique récapitulatif
B.l - La sphère pelvienne
B.2 - Les sphères psychologique et psychiatrique
B.3 - Le système neuro-végétatif
B.4 - La sphère digestive
B.5 - Le système musculo-squelettique
B.6 - Le système endocrinien
B.7 - La sphère cardio-pulmonaire
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES ANNEXES
ANNEXES
Annexe n°1 : Questionnaire aux professionnel-le-s
Annexe n°2 : Support de cours proposé aux étudiant-e- s en ostéopathie
Annexe n°3 : Signalement au Procureur de la République
Annexe n°4 : Certificat Professionnel
Annexe n°5 : Tableau récapitulatif clinique de l’HAS
Annexe n°6 : Coupe anatomique du plancher pelvien féminin
Annexe n°7 : Inventaire de sensibilisation centrale
Annexe n°8 : Méthodologie de recherche pour la revue de littérature