Je ne te connais pas, mais si je prends la liberté (et le temps) de t’écrire aujourd’hui, c’est après consultation de la page Internet dans laquelle tu proposes le Deal du jour : « une séance d’ostéopathie d’une heure pour seulement 25 euros au lieu de 60, soit une remise exceptionnelle de 58% ! » Ma première réaction a été la surprise, a laquelle a rapidement succédé l’étonnement, puis l’indignation, laquelle a finalement conduit à l’abattement.
Surprise et étonnement
Surprise et étonnement sont venus face à l’incroyable, l’inconcevable : brader des séances d’ostéopathie (sur Internet ou ailleurs), voilà quelque chose qui, pour un vieux praticien comme moi (j’approche aujourd’hui les soixante-quatre ans) était, jusqu’à il y a peu, carrément inconcevable ; et voir la chose inconcevable réalisée devant moi m’a laissé sans voix. Face à cela, la tentation a été grande de « faire le vieux, » de m’indigner et de développer toute l’argumentation nécessaire pour démontrer qu’une telle proposition est absolument indécente. Mais j’ai moi-même suffisamment souffert dans ma vie (et bien au-delà de l’adolescence) des ces comportements de vieux (« Ah de mon temps, Madame... ») pour ne pas en rester à cette réaction somme-toute épidermique (pourtant normale face à certains parfums...).
Indignation
Alors, je me suis dit qu’il faudrait peut-être plutôt chercher à comprendre comment les choses ont pu en arriver là. Mais avant cela, je vais tout de même te faire part des éléments essentiels qui peuvent expliquer mon indignation.
L’essentiel tient au fait de présenter une séance d’ostéopathie comme un vulgaire produit commercial sans valeur. Il faut me comprendre Anaïs. Je fais partie de la génération qui a dû lutter pour obtenir le droit de pratiquer légalement cette merveilleuse approche de la santé. Je comprends que pour les jeunes qui commencent aujourd’hui leur formation en ostéopathie, cela ne représente rien : lorsque j’ai pris mon statut d’ostéopathe démarqué totalement, en 1985, la plupart de celles et ceux qui commencent aujourd’hui leur carrière d’ostéopathe n’étaient pas nés ou encore dans les couches. Alors, cela ne représente pour eux pas grand-chose. Comment pourraient-ils imaginer cette époque où l’ostéopathie n’était quasiment pas connue et comme tout ce qui n’est pas connu, très décriée. Comment pourraient-ils imaginer que certains d’entre-nous furent traités comme de vulgaires malfaiteurs, traînés en justice et jugés entre la petite frappe trafiquant les chèques volés et l’agresseur de vieille dame sans défense, alors qu’ils passaient leur vie à soigner et à aider les gens ?
Dieu merci, je n’ai pas eu à affronter cela, mais j’ai pu voir avec quelle désinvolture la justice traite les gens qui ont le malheur de tomber dans ses filets. Pour les gens de ma génération donc, qui ont eu tant de mal à tracer la route, l’ostéopathie présente une très grande valeur. Je comprends bien que lorsque l’on n’a pas soi-même expérimenté une situation, il puisse être bien difficile d’imaginer réellement ce qu’elle fut... Mais pour ce qui me concerne, il me semble tout à fait normal de m’indigner à voir présenter l’ostéopathie comme un vulgaire produit commercial, reléguée au rang d’un paquet de lessive ou d’une connexion Internet. Tu n’as peut-être pas conscience que les choses ont souvent une valeur proportionnelle à la difficulté rencontrée pour se les procurer ? Il est vrai sans doute que comme la plupart des jeunes de ta génération, tu n’as pas eu à souffrir beaucoup pour obtenir tout ce dont tu avais besoin ou envie, y compris, peut-être, l’ostéopathie...
Même si j’ai toujours reconnu la valeur de l’ostéopathie, il m’a fallu traduire Still pour en prendre toute la mesure. J’ai alors pu me rendre compte (en partie seulement) des difficultés rencontrées pour la développer. La lecture de l’Autobiographie de Still ou Naissance de l’ostéopathie de Carol Trowbridge suffisent pour évaluer que les difficultés que nous avons rencontrées à notre époque n’étaient rien par rapport à celles que lui-même rencontra. Cela recadre...