Qu’est-ce qu’être ostéopathe ? - L'humain, un mental et un esprit

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L’humain, un mental et un esprit

En revanche, si Still n’arrête pas d’évoquer ces dimensions autres de l’être humain, il ne nous propose quasiment rien de pratique pour dépasser la globalité physique corporelle et pour réellement vivre ces autres dimensions de l’ostéopathie. Lui les vivait très certainement, mais il n’a pas su ou pu les transmettre pratiquement.

Littlejohn est allé un peu plus loin, notamment dans son insistance sur l’aspect relationnel de la vie qui l’a amené à considérer non seulement le patient en tant que globalité corporelle, mais également sa relation à une globalité plus vaste, celle de son milieu environnant, concernant par exemple son alimentation (nutrition) et ses relations familiales et sociales.

Les conditions existant au sein de l’organisme doivent être compatibles avec l’équilibre de l’ensemble de l’organisme par rapport à lui-même et à son environnement. C’est pourquoi le problème de la thérapeutique ne se limite pas à un reboutement expert, ou à quelque étirement musculaire ; il réside dans l’utilisation des moyens que nous trouvons au sein de l’organisme pour l’amener à une relation correcte à lui-même et à son environnement. Ce principe global nous fournit un fondement solide sur lequel établir un système thérapeutique. Cela inclut une somme de connaissances scientifiques, compatible avec les détails du système, capable de comparaison avec d’autres systèmes, dans le but de démontrer lequel est le meilleur système. (Littlejohn, 1974, 14-15).

Cela étant, et bien qu’il ait lui-même reçu une formation religieuse des plus poussées (il était pasteur presbytérien), il ne parle quasiment jamais de dimension spirituelle de l’ostéopathie. Au contraire, il s’en démarque.

Les manipulations scientifiques sont la base de la thérapeutique ostéopathique. Nous n’avons aucune affinité pour le masseur qui manipule sous contrôle médical ni pour l’hypnotiseur qui manipule son patient sous dépendance verbale. Il n’y a rien de surnaturel, de mystique, ni de mystérieux dans nos manipulations. Il n’y a aucune sorcellerie ni aucune magie, aucune influence secrète exercée ou émanant de la main ou du corps de celui qui œuvre sur le corps de son patient (Littlejohn, 1900, 2).

Sutherland est également allé plus loin, mais même s’il est très clair quant à la dimension spirituelle de l’ostéopathie, il ne nous donne pas non plus beaucoup de précisions quant à la manière de la mettre en œuvre.

J’ai souvent dit qu’en ostéopathie, nous avions perdu quelque chose que le Dr Still avait tenté de comprendre. C’est l’aspect spirituel qu’il incorporait à la science de l’ostéopathie. Je ne parle pas du monde des esprits ! Je veux parler de l’aspect spirituel, qui lui est venu directement de son Créateur au cours d’une période parmi les plus tristes de sa vie, alors qu’il adressait une prière sincère à son Créateur, non au monde des esprits.1 Ce qui est venu, c’est le concept de l’ostéopathie. Que disait le Dr Still à son sujet ? « Elle m’a été révélée, comme d’autres vérités destinées au bénéfice de l’humanité. » Lisez son ouvrage Recherche et Pratique et notez le nombre de fois où il fait référence à son Créateur, au Grand Architecte, etc. Il attire constamment votre attention sur ce point (Sutherland, 2017, 364-365).

Selon moi, c’est Rollin Becker qui est le personnage clé dans l’évolution du regard de l’ostéopathe sur son patient. Nous lui devons une avancée majeure dans la reconnaissance et l’utilisation de la spiritualité dans la pratique de l’ostéopathe. Dans L’immobilité de la vie, il dit qu’à un moment de sa vie, il a dû remettre en question quasiment tout ce qu’il avait appris dans sa formation au collège de Kirksville (son faire) :

[…] Pendant huit ans, j’ai utilisé l’ostéopathie manipulative telle que je l’avais apprise dans les cours du collège et dans les séminaires post-gradués et que j’étais particulièrement déçu de son utilisation parce que je ne pouvais ni contrôler ni savoir pourquoi les cas atteignaient ou non l’amélioration que j’attendais. Poussé par cette désillusion, j’ai repris l’Autobiographie de Still et réétudié ses principes de base. Deux ans plus tard, en 1944, sous la houlette du Dr Sutherland j’ai étudié l’anatomie et la physiologie détaillées du mécanisme craniosacré, complétant ainsi ma connaissance de la totalité de la physiologie corporelle. C’est progressivement que j’ai développé le type de diagnostic et d’approche thérapeutique que j’utilise aujourd’hui (Becker, 2013, 281-282).

Il a réussi à intégrer dans la pratique la vision spirituelle de l’ostéopathie et à l’enseigner. Cela est largement décrit dans L’immobilité de la vie le second ouvrage de ses écrits rassemblés par Rachel E. Brooks. Il est probable qu’il a été en cela aidé par sa rencontre avec un swami américain, Swami Chetanananda auprès de qui il a appris la méditation. Dans la préface Rachel Brooks, qui a côtoyé de près Becker, écrit ceci :

Ma profonde gratitude envers mes enseignants, Swami Chetanananda et Rollin Becker. La grande affinité et le grand respect qu’ils avaient l’un pour l’autre ont créé pour moi un chemin extraordinaire pour avancer ; ils ont inspiré tout ce travail (Becker, 2013, 11).

Sous le titre Dynamic Stillness, Chetanananda a écrit deux ouvrages présentant sa pratique (le trika yoga) et au début de ces deux tomes, il écrit la dédicace suivante :

Ce livre est dédié à Rollin E. Becker dont j’apprécie particulièrement l’œuvre. Il a profondément servi l’humanité en démontrant à des milliers de personnes le potentiel guérisseur de l’Immobilité dynamique. Merci Dr Becker (Chetanananda, 1990, 6).

Lorsque j’ai contacté les éditions Rudra Press, éditeur de Dynamic Stillness, en vue d’une traduction française, c’est Tom Fabrizzio, son manager, qui m’a répondu. Au cours de nos échanges de courriels, je lui ai demandé s’il disposait de quelques informations sur les liens unissant Becker et Chetanananda. Et voilà ce qu’il m’a répondu :

Concernant le Dr Becker, oui, Swamiji et lui étaient devenus très proches et ils ont eu de nombreuses discussions. En fait les cendres du Dr Becker sont déposées ici dans notre lieu. Je peux voir l’endroit depuis ma fenêtre.
Le Dr Becker était un homme intéressant. Il ne parlait jamais beaucoup. Il se contentait de traiter. Lorsque Swamiji l’a consulté et a vu (plutôt ressenti) la puissance de son travail, il a été intéressé. Je pense que c’est à cause des flux d’énergie et de la libération des tensions (blocages) et du fait que votre système [l’ostéopathie] possède en lui tous les pouvoirs guérisseurs, même s’il a besoin de quelque promotion et encouragements.2
Ainsi, un jour que le Dr Becker avait terminé la séance qu’il donnait à Swamiji, il lui dit quelque chose du genre : « Je remarque que vous vous intéressez à ce que je fais ? » Il proposa à Swamiji une tasse de café (il m’en a proposé aussi un jour, et c’était un des plus mauvais cafés que j’aie bus…) et ils ont parlé pendant deux heures.
Une étroite relation s’est développée entre eux. Le Dr Becker a réellement entraîné Swamiji à son travail – comme il a fait d’ailleurs pour les médecins travaillant ici à l’ashram. Le Dr Becker venait souvent nous rendre visite.
Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que par des chemins totalement différents la vérité du mécanisme énergétique a été révélée (Chetanananda, 1990, 9-10).

Il n’est pas du propos de ce court texte d’évoquer en détail la démarche de Rollin Becker. Il suffit pour cela de lire ses ouvrages.

Sa démarche a donné naissance au Partenaire silencieux, un concept éminemment spirituel. Pour moi, l’approche tissulaire est héritière des travaux de Rollin Becker.