La rétention
Cette prise de conscience m’a conduit au concept de rétention qui implique de la part de la structure vivante une réponse non consciente, mais active, de retenue d’énergie visant à tenter de s’isoler du danger qui la menace. Il est même bien possible que ce type de réponse – retrait, résistance, refus –, ai commencé d’exister avec la structure vivante et que, par conséquent, nous la retrouvions, intégrée au mécanisme même du vivant dont la première réaction face à l’adversité est le retrait, la résistance, le refus avec tous les effets secondaires qui en découlent : « La conscience matérielle, c’est-à-dire le mental dans la Matière, s’est formé sous la pression des difficultés – des difficultés, des obstacles, des souffrances, des luttes. Elle a été pour ainsi dire ‘élaborée’ par ces choses, et cela lui a donné une empreinte, presque de pessimisme et de défaitisme, qui est certainement le plus grand obstacle. [...] C’est la grande base, l’immense base de la Vie. La vie est appuyée là-dessus : sur ce NON. Un non qui prend mille formes, des millions de formes et de petites maladies ou de petites faiblesses, mais qui vont toutes vers leur soif du non final : la mort. » (Satprem, 1976, 199). Quel étrange paradoxe : des réponses de survie conduisant à la mort, faute de conscience !
Du simple au complexe
Ce modèle comportemental peut s’appliquer aux structures simples, mais également aux structures complexes reproduisant macroscopiquement les comportements des structures microscopiques qui les composent. Dans nos vies, nous reproduisons ce type de comportement, chaque fois que nous sommes confrontés à des situations que nous considérons comme agressives ou dangereuses : « L’expérience clinique a démontré que, par une ironie du sort, ce sont souvent les tentatives mêmes du patient de résoudre le problème qui en fait l’alimentent. C'est donc la solution tentée qui devient le véritable problème. » (Watzlawick, 1993, 86). Watzlawick évoque ici les solutions qui, parce qu’elles ont fonctionné à un moment de la vie d’un système vivant, sont systématiquement réutilisées ultérieurement, sans adaptation aux changements des situations. Seule la conscience de cette inadaptation peut permettre de suspendre le mécanisme, mais l’abstraction nécessaire à cette prise de conscience ne semble pas accessible à une cellule vivante. Elle a besoin d’un point d’appui extérieur. C’est ce que praticien en techniques tissulaires se propose de lui offrir.
En revanche, on peut imaginer que ce mécanisme si fondamental à la vie et à la survie d’une structure vivante a puissamment participé à l’évolution. Les rétentions d’énergie et les densifications entraînées ayant fini par s’organiser, et s’intégrer, modifiant ainsi la structure des organismes vivants et leur permettant d’évoluer, donc survivre.
Mécaniciens de la conscience
Avec le mécanisme respiratoire primaire, William Garner Sutherland, nous décrit une mécanique de la conscience : c’est la conscience qui produit l’alternance d’expansion/rétraction d’une cellule vivante, mouvement primaire que la vie manifeste dans toute structure vivante. À l’image des cellules qui le composent, le corps peut s’envisager comme un assemblage liquidien pulsatile rythmique, structuré par un système de cloisonnement fibreux (membranes, fascias), dont le mouvement est organisé par la dure-mère et centré mécaniquement sur le fulcrum de Sutherland.
La mécanique corporelle subtile est alors la manifestation de la conscience de la structure vivante et du même coup, l’altération de la conscience d’une zone tissulaire modifie sa mécanique, altérant celle de tout le système, selon l’image de la méduse déjà évoquée.Ainsi, je n’envisage plus l’organisme comme une mécanique accessoirement vivante, mais comme un système vivant accessoirement mécanique. Voilà pourquoi au lieu de m’intéresser d’abord à la mécanique, j’en suis venu à m’intéresser d’abord à la vie et aux activités relationnelles du vivant. De mécaniciens des leviers, nous voilà devenus mécaniciens de la conscience…