Les limites de l'ostéopathie - Les traductions

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Les traductions

Ces citations m’ont vraiment intrigué et poussé ultérieurement à me tourner vers Still et à le lire, puis à le traduire, en commençant par Autobiographie. Mais à cette époque, je voyais cela comme une simple possibilité, un « il faudrait ». Ce n’est que lorsque je me suis vraiment engagé à le lire et à le traduire dans la fin des années 1990 que j’ai découvert, entre autres, la dimension stillienne de l’ostéopathie, qui dépassait largement ce que j’avais imaginé au départ.

Ce que traite l’ostéopathie

Entre autre choses, j’ai été fort surpris de constater qu’à l’époque de Still, les ostéopathes traitaient toutes sortes de maux. L’ostéopathie était un substitut à la médecine. Il faut dire que la médecine de l’époque dans le Middlewest, ne valait pas grand-chose… Aujourd’hui, nous vivons un contexte très différent et il n’est pas envisageable de concevoir l’ostéopathie comme se substituant à la médecine.

On peut en revanche constater que la médecine traite quelque chose (un symptôme, une pathologie), alors que l’ostéopathie traite quelqu’un (la personne qui présente ce symptôme et cette pathologie). Cela mérite, je pense, d’être rappelé encore et encore, notamment à cause de l’orientation actuelle des enseignements qui tendent à vouloir se couler dans le moule médical, et aussi des demandes des patients, très centrés sur leurs difficultés. Et ce quelqu’un dont s’occupe l’ostéopathe, Still nous rappelle qu’il est plus qu’un corps…

La dimension spirituelle

Ce que j’ai également découvert en traduisant Still, c’est la dimension spirituelle de l’ostéopathie. Une dimension depuis longtemps délibérément occultée par nos enseignements pour des raisons de « bienséance scientifique » et de reconnaissance.

Et après toutes ces explications, nous devons décider que l’homme, lorsqu’il est complet, est trin. En premier, le corps matériel, en second, l’être spirituel, en troisième, un être de raison de loin supérieur à tous les mouvements vitaux et aux formes matérielles, dont le devoir est de diriger sagement ce grand mécanisme de vie.6

Ce que je lisais dans Still venait rejoindre ce que j’avais expérimenté personnellement, m’amenant à ouvrir mon espace conceptuel concernant l’humain et donc le patient, à la dimension spirituelle. Cela étant, même si Still en parle beaucoup, il ne donne quasiment aucun moyen de vivre ostéopathiquement la dimension spirituelle de l’humain.

Sutherland en parle également, sans, lui non plus, donner de moyens de mettre pratiquement en œuvre cette dimension.

J’ai souvent dit qu’en ostéopathie, nous avions perdu quelque chose que le Dr Still avait tenté de comprendre. C’est l’aspect spirituel qu’il incorporait à la science de l’ostéopathie. Je ne parle pas du monde des esprits ! Je veux parler de l’aspect spirituel, qui lui est venu directement de son Créateur au cours d’une période parmi les plus tristes de sa vie, alors qu’il adressait une prière sincère à son Créateur, non au monde des esprits. Ce qui est venu, c’est le concept de l’ostéopathie. Que disait le Dr Still à son sujet ? « Elle m’a été révélée, comme d’autres vérités destinées au bénéfice de l’humanité. » Lisez son ouvrage Recherche et Pratique et notez le nombre de fois où il fait référence à son Créateur, au Grand Architecte, etc. Il attire constamment votre attention sur ce point.7

Selon moi, dans l’histoire de l’ostéopathie, il faut attendre Rollin Becker pour trouver un auteur qui permette de mettre en correspondance l’être et le faire, c’est-à-dire de pouvoir pratiquement utiliser une conception spirituelle de l’être humain dans des outils pratiques. Et pour lui, tout a commencé par l’insatisfaction dans l’utilisation de l’ostéopathie qu’on lui avait apprise, insatisfaction qui l’a poussé à chercher autrement :

Pendant huit ans, j’ai utilisé l’ostéopathie manipulative telle que je l’avais apprise dans les cours du collège et dans les séminaires post-gradués et j’étais particulièrement déçu de son utilisation parce que je ne pouvais ni contrôler ni savoir pourquoi les cas atteignaient ou non l’amélioration que j’attendais. Poussé par cette désillusion, j’ai repris l’Autobiographie de Still et réétudié ses principes de base.8 […] J’ai alors décidé de tout reprendre à zéro. Ainsi, j’ai relu les écrits originaux d’Andrew Taylor Still, particulièrement son Autobiographie et sa Philosophie de l’ostéopathie.9

J’ai abordé Becker dans les années 1980, grâce à Francis Peyralade qui m’avait procuré quelques Yearbooks de l’AAO.10 Les premiers textes de lui que j’ai pu consulter et traduire portaient sur la palpation. Ce qu’il y exprimait m’a particulièrement touché : bien qu’il utilise des mots différents des miens, j’avais vraiment l’impression de lire quelqu’un qui entrait en relation avec les tissus d’une manière très proche de la mienne, notamment qui ne cherchait pas essentiellement à faire quelque chose, mais avant tout à « écouter », ressentir quelque chose venant des tissus.

Les mécanismes du corps et leurs potentiels sont toujours en action et peuvent être perçus à l’aide d’un toucher pensant, ressentant et voyant, qui devient avec le temps un toucher connaissant. C’est comme monter dans un train en marche. Le train poursuit sa course et son mouvement alors que je monte dedans, que j’analyse la rudesse de la voie, l’oscillation au sein des courbes, la vitesse relative, puis que je quitte le train alors qu’il continue son action. Ainsi en est-il des problèmes au sein du patient. Je me déplace au sein d’un mécanisme qui continue à fonctionner, j’établis mon diagnostic, administre mon traitement, et je quitte le mécanisme qui continue son fonctionnement toujours changeant. Mon contact est pensée profonde, observation profonde, ressenti profond, mais il ne limite ni n’empêche la structure-fonction au sein des tissus que j’examine.11

De plus, ses propos rejoignaient mon propre chemin par rapport à la palpation : tant que j’ai tenté de suivre le chemin de quoi sentir, je ne suis pas arrivé à grand-chose. Quand j’ai choisi le chemin du qu’est-ce que je sens et accepté de prendre ce qui venait dans mes mains, alors ma palpation a commencé à s’améliorer et j’ai pu développer un comment sentir :

La palpation est littéralement un art que chacun doit s’enseigner à lui-même. Vous pouvez enseigner les idées et les principes et certaines des choses que vous pourriez découvrir, mais c’est à vous de déterminer comment les transcrire dans votre physiologie corporelle et utiliser la palpation pour comprendre la physiologie corporelle du patient.12