Les tissus savent
Dans ces textes sur la palpation, Becker développe l’idée que l’essentiel des informations relatives au cas du patient se trouve dans le patient, plus exactement dans ses tissus, et que le rôle de la palpation du praticien consiste à déchiffrer les informations indispensables pour l’aider :
Chaque fois qu’un patient entre dans votre cabinet, vous devez toujours tenir compte de trois facteurs : les croyances et les idées qu’a le patient sur son problème, ce que le praticien considère comme étant le problème du patient, et finalement ce que l’ensemble anatomo-physiologique du corps du patient sait être le problème. […] En résumé, le patient évalue le diagnostic, le praticien l’évalue scientifiquement, mais c’est le corps du patient qui connaît le problème et le manifeste dans les tissus.13
Jacques Andréva Duval qui a beaucoup travaillé avec Rollin Becker a résumé cela dans une phrase laconique, seuls les tissus savent :
En fait, le malade ne « sait » pas : il sent, et il tâche d’exprimer ses sensations ; mais le praticien ne sait pas davantage : il infère, et il s’efforce de formuler, d’étiqueter ses inférences. Seuls les tissus savent. En eux se trouve manifestée la connaissance absolue : ils savent ce dont ils souffrent, et ils savent la direction dans laquelle se situe la solution de leurs problèmes.14
De là découle une attitude du praticien vis-à-vis de son patient qui se centre davantage sur l’être que sur le faire. Il n’est plus tant question de faire quelque chose que de se mettre au service des tissus du patient en recevant les informations qu’ils détiennent. Autrement formulé, cela revient à considérer que l’essentiel de l’information concernant les problèmes et difficultés du patient se trouve chez/dans le patient et non chez le praticien.
Philosophie cellulaire
C’est aussi grâce à Becker qu’a pu se formaliser pour moi l’idée de conscience tissulaire. Grâce (entre autres) à cette citation rapportée par Jacques Andréva Duval dans le numéro 4 de la revue belge Thinking. Après le décès de Rollin Becker, il dit quelques mots de l’expérience vécue avec lui et propose quelques citations recueillies lors de ses contacts, dont celle-ci :
Toutes les cellules ont deux choses en commun : 1/ une philosophie, 2/ un but. En tant que philosophie, elles sont universelles : elles obéissent aux mêmes lois ; en tant que but, elles ont simplement une action spécifique (cellules du foie, du système nerveux, etc.). Et nous, en tant qu’ostéopathes, nous acceptons leur action spécifique, mais nous travaillons avec leur universalité.15
Que peut bien être la philosophie d’une cellule, son essentiel, si ce n’est simplement être ? Et parler d’être, n’est-ce pas parler de conscience ? Évidemment, au niveau du système corporel, il s’agit de consciences élémentaires, d’entités qui sont conscientes, mais sans doute pas ou peu conscientes de leur conscience.
Agrégat de consciences
Ainsi, non seulement le corps est agrégat de consciences « élémentaires », celles du système corporel, mais également de la, ou des, consciences associées à l’être et à son mental. Chaque individu est donc un système hypercomplexe de consciences agrégées, se manifestant dans l’univers physique grâce au système corporel. En touchant le corps, je touche bien plus que le corps physique, même si je n’en ai pas conscience. Ce concept a pour moi ouvert un nouvel espace d’investigation, tellement porteur de compréhensions qu’il m’a été impossible de revenir en arrière, c’est-à-dire de faire comme si les systèmes vivants n’étaient pas conscients. Il a changé définitivement la manière dont j’ai cherché à entrer en relation avec mes patients, rassemblant les dimensions corporelle, mentale et spirituelle.
Relationnel de consciences
La relation qui s’établit entre le praticien et son patient, qu’ils en soient conscients ou non, est une relation de consciences et le praticien n’est plus un simple « agent extérieur » agissant sur un système vivant, mais lui-même un système de consciences établissant un relationnel avec un autre système de consciences, celui du patient. Ce qui se passe entre le praticien et le patient au cours d’une séance de ce type engage des interférences beaucoup subtiles que ce que j’imaginais auparavant :
Au moment où le praticien pose les mains sur un patient pour établir un diagnostic et procéder à un traitement palpatoire, il participe avec lui à une expérience quantique de partage. Lorsqu’il travaille avec les tissus vivants du patient, il lui est totalement impossible d’être un observateur neutre ou impartial.16